L’école, un terrain d’exploration ?

Jan/Fév/Mars 2019

Et si les écoles supérieures en arts du cirque étaient les premiers laboratoires, ceux qui permettent de chercher… et d’apprendre à chercher ? De nombreux lieux d’enseignements redoublent d’imagination sur ce terrain d’exploration, même si les moyens ne sont pas équivalents pour tous.

Les écoles supérieures en arts du cirque sont-elles un terreau fertile pour la recherche artistique ? Les étudiants, encore à l’abri de la pression de la rentabilité, devraient être demandeurs. Mais les études sont courtes et ils veulent être prêts au grand saut dans la vie professionnelle. Quant au corps professoral, peut-il leur « apprendre à apprendre » et à être curieux de pistes innovantes ? Toutes les écoles se posent régulièrement ces questions. Et chacune y répond à sa manière, comme nous l’avons observé en traquant la recherche dans différents lieux d’enseignement : le Lido (Toulouse), Codarts (Rotterdam), le Cnac (Châlons-en -Champagne) et l’Ésac.

Le Lido a la réputation de former des auteurs-créateurs. « Chez nous, l’élève est responsable de son évolution, c’est à lui à définir sa recherche personnelle. On n’a pas une image prédéfinie du bon élève à la fin de la formation », nous explique Christian Coumin, directeur artistique. « Les profs ne sont pas là pour donner des directives mais pour ouvrir des portes. La recherche se base avant tout sur une attitude d’écoute et d’analyse des sensations. » Dans l’école toulousaine, les trois années de cours s’apparentent à un véritable parcours de triathlon rythmé par l’atelier de recherche, les essais de cirque et les spectacles collectifs. Les nombreux « Essais » permettent aux étudiants de tenter des choses dans des petites formes présentées devant un public limité. Dans un de ces essais, ils sont même invités à « péter les plombs ». On les pousse à se lâcher. Peu à peu, ils pensent moins au paraître et comprennent que, si c’est raté, ce n’est pas grave. « C’est presque l’échec qui est le plus important, parce que les réussites sont trompeuses, elles flattent l’ego mais ne font pas avancer. Notre philosophie, c’est d’encourager chacun à aller là où ils se sent le plus juste, avec la bonne force, la bonne expression. C’est peut-être ça la recherche : trouver la justesse dans son expression. »

Chez Codarts Circus Arts, c’est entre autres par une collaboration entre les professeurs de différents secteurs que la recherche se joue. L’université des arts de Rotterdam compte trois campus, pour autant de filières artistiques : la danse, la musique et le cirque. Chaque section a ses cours spécifiques, mais les étudiants sont régulièrement invités à travailler ensemble pour sortir de leur zone de confort et dégager de nouvelles pistes créatives. Il en va de même pour les professeurs, qui observent mutuellement leurs cours ou bien mènent certains projets ensemble. Récemment, les trois filières de Codarts ont présenté leurs projets mixtes, partout dans la ville. Pas dans les salles de spectacle, mais dans un magasin ou dans l’espace public. Entré au poste de coordinateur artistique en 2014, Jan Daems a senti une évolution. « Avec la directrice Anna Beentjes, on a cherché comment implémenter la recherche sans imposer des choses – la contrainte, sur ce terrain, ne sert à rien ! » Et ces pistes proposées sont en train de créer de beaux chemins. « L’équipe pédagogique y est vraiment ouverte. Bien sûr, on n’a que 24 h et il faut dormir. Et on n’a que 36 semaines d’école. Donc ça reste un éternel compromis. Mais on avance ensemble ! »

 

Des ingénieurs dans l’école

Un des axes fondamentaux de la recherche en cirque est d’activer les collaborations extérieures, que ce soient celles d’experts ou d’institutions. Le Cnac est une des écoles qui met en œuvre cette synergie. Cette recherche peut porter sur les matériaux, les vêtements et les agrès. Ainsi, à Châlons, un nouveau type de corde développé par des ingénieurs de IUT Paul Sabatier de Toulouse a conduit à la création d’une petite forme. La recherche peut aussi porter sur le corps en mouvement, comme celle menée par le philosophe du corps Bernard Andrieu. À partir d’images filmées des étudiants, il détecte les gestes parasites qui peuvent déclencher de la peur ou de l’appréhension dans une figure.

Dans l’esprit de laboratoire, les étudiants du Cnac peuvent également s’inscrire aux rendez-vous « Traverse » : des artistes et des chercheurs de toutes disciplines se retrouvent durant 5 jours pour expérimenter sans obligation de résultat, ni contrainte de production. « Nous souhaitons créer des temps de rencontre ouverts que le corps pédagogique peut intégrer dans la continuité des cours », explique Cyril Thomas, responsable de la recherche et du développement au Cnac. « L’intérêt de cette recherche qui fait des va-et-vient entre chercheur, enseignant et étudiant, c’est de créer un dialogue où chacun puisse répondre à l’autre. »

Aujourd’hui, on observe que toutes les écoles des arts du cirque ont pris conscience de l’importance d’une forme de recherche. « Au final, ça revient à apprendre à l’étudiant à apprendre, à l’encourager à être curieux et être en proposition », résume Sylvain Honorez, qui dirige les ateliers de recherche et création à l’Ésac. Pour cela, il n’y a pas de recettes, si ce n’est la volonté de se renouveler. La Fedec, réseau qui regroupe 41 écoles de cirque professionnelles en Europe, l’a bien compris : ses programmes Intents et Reflect favorisent les échanges et veulent apporter de nouveaux outils pédagogiques aux professeurs. Le prochain Labo Reflect se tiendra à Codarts Circus Arts, autour d’une réflexion sur le rôle du professeur dans l’accompagnement de la création collective. L’école, elle aussi, a envie de chercher !

Tout l’art de la « recherche-création »

Après un an consacré à son Master en Arts du spectacle vivant à l’ULB, la machiniste belge Valentine Remels était ravie de pouvoir mettre la théorie en pratique lors d’un séminaire d’été de « recherche-création » à l’Université Concordia au Québec. « J’étais curieuse de découvrir comment les universités pouvaient s’ouvrir à la pratique physique. Et, en parallèle, comment les artistes pouvaient s’inspirer de propos académiques et scientifiques. » Car tel est bien le principe de la « recherche-création » : un croisement entre l’artiste et le chercheur, pour des travaux académiques d’un nouveau type. À Concordia, Valentine a découvert un espace de liberté inattendu, tout en constatant que les étudiants étaient parfois assez démunis face à ce type de recherche. « C’est un domaine nouveau où tous les codes ne sont pas encore fixés. De nombreuses inconnues subsistent, notamment pour l’évaluation. Mais l’essentiel, c’est que l’art vivant, et donc le cirque, soit reconnu par le monde académique comme source de nouvelles connaissances et comme un outil pour découvrir et comprendre le monde. » La souplesse de l’art va sûrement faire du bien aux articulations parfois un peu raides des universités !

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L'auteur.e de l'article

Gilles Bechet

Giles Bechet est journaliste freelance. Curieux de tout, il aime se perdre dans la culture, celle qui pousse en salle, sous chapiteau et dans les terrains en friche. Pour y rencontrer toutes sortes de gens, des gens qui voient, qui ont vu et qui font voir. Ou qui ne font rien du tout et le font bien.