Le cirque se sent bien sur les pavés : il se taille une place de plus en plus importante dans les festivals d’arts de la rue qui fleurissent au printemps et en été. Comment expliquer cette effervescence ? Petit tour de la question, avec quelques programmateurs qui ont le goût de la piste.
Le cirque est né dans la rue, il y a bien longtemps, et il y retourne de plus en plus régulièrement. Pas dans un plaisir régressif, mais avec toute la complexité et la diversité de son évolution contemporaine. Les festivals d’arts de la rue sont indissociables des beaux jours du printemps et de l’été (et fleurissent un partout, comme on le lira ci-contre). À battre les pavés des rues des villes et villages et à consulter les programmes, l’évidence saute aux yeux : le cirque occupe une place de plus en plus marquée dans ces événements festifs, disruptifs et conviviaux. Qu’est-ce qui pourrait expliquer cette mise en avant ?
La première raison évoquée par les programmateurs est celle de l’accessibilité. La prouesse et la sensation qui définissent souvent le cirque sont à leur place et même attendues dans la rue. « Dans un spectacle de cirque, on se passe souvent de texte et on est sur de l’émotion, du physique. Ça parle à un public très large, qu’il soit expert ou non. Quand je ne connais pas une personne, je vais toujours lui conseiller un spectacle de cirque », avance Charlotte Charles-Heep, directrice du festival de Chassepierre. « Ça répond aussi à une demande du public », ajoute France Deblaere des Fêtes Romanes. Ces festivals drainent en effet de plus en plus d’aficionados passionnés de cirque. Ils viennent en connaissance de cause, choisissent les artistes qu’ils veulent voir et se concoctent un programme sans temps morts.
La créativité des artistes est évidemment centrale pour expliquer cette évolution. Depuis une vingtaine d’années et l’éclosion du nouveau cirque, on a vu l’offre circassienne se développer et se diversifier. « On constate, dans les formes de cirque de rue, plus de théâtralisation et de narration. La pratique de l’art clownesque, par exemple, est nourrie d’un travail plus approfondi des personnages », analyse Alain Coulon du festival Sortilèges, Rue & Vous ! à Ath. À l’instar des festivals musicaux, l’offre se veut éclectique et mélange les styles et techniques pour que chacun y trouve son compte, depuis les spectacles familiaux jusqu’aux propositions plus pointues. Dans un festival de rue où la plupart des spectacles sont gratuits, le public n’est pas captif, il peut aller et venir comme bon lui semble. Il reste souverain et contribue à l’exigence de qualité. D’années en années, l’œil du public évolue, s’aiguise,… encourageant la singularité des propositions circassiennes.
Accompagnement en amont
Pour nourrir leur programmation, certains festivals travaillent avec les artistes en amont, à travers des programmes de résidence pour les compagnies. Au Centre des Arts de la Rue de Ath, ce ne sont pas moins de 30 à 35 projets qui sont couvés et accompagnés chaque année par l’équipe. « On veut développer un maximum de créations, en poussant les compagnies à sortir des sentiers battus. Parfois même, on signe des chèques en blanc. Mais au final, c’est très rare que notre public rejette un spectacle », reprend Alain Coulon. La certitude n’est donc pas toujours de mise : à l’issue de leur développement, certains projets ne sont pas présentés en festival quand un autre cadre se révèlerait plus adéquat. « Notre priorité, c’est de proposer un spectacle de rue qui privilégie l’interaction avec le public. L’idée n’est pas de recaser en extérieur un spectacle de salle ! », précise France Deblaere. Le compagnonnage avec un festival de rue est souvent indispensable pour de jeunes circassiens, en manque de débouchés quand les salles de spectacle dans les centres culturels leur sont (encore) souvent fermées.
La programmation est loin d’être une science exacte. « Parfois, un spectacle auquel on croit ne trouve pas son public et on n’en a pas toujours l’explication », reconnait Samuel Chappel, directeur de Namur en Mai. « Les raisons peuvent être multiples. Peut-être une mauvaise implantation, un horaire défavorable ou une présentation mal calibrée. » La représentation en espace public demande un savoir-faire particulier. Directeur artistique des Furies à Châlons-en-Champagne, et précédemment du festival d’Aurillac, Jean-Marie Songy rappelle qu’on ne prend pas la rue comme une salle. « Tant les artistes que les programmateurs sont amenés à réfléchir où mettre le portique, où placer le public et aussi où le soleil donne ! »
Dynamique positive
Même si les propositions de création de cirque en espace public sont en expansion, l’offre n’est pas illimitée en Fédération Wallonie-Bruxelles. Les programmateurs ne voient pas toujours leurs rêves comblés. « Les spectacles qu’on trouve intéressants et créatifs sont souvent surdemandés », note Benoît De Waele de SuperVliegSuperMouche à Forest. « Je pense par exemple au formidable spectacle de One Shot qu’ils ont joué à peu près dans tous les festivals. Il y aurait place pour d’autres propositions de la même qualité. »
Les arts de la rue sont dans une dynamique positive et les petits festivals qui se multiplient aimeraient tous disposer de plus de moyens pour mieux accueillir les artistes – ce n’est pas parce qu’ils jouent en rue qu’ils vivent d’eau fraîche, pas plus que les équipes techniques ! « On est un petit réseau. Les festivals en Belgique ne suffisent pas pour assurer la viabilité des compagnies. Une fois qu’elles ont écumé nos festivals, les créations devraient pouvoir s’exporter, mais ce n’est pas facile, cela demande des moyens supplémentaires. Et un pays comme la France va d’abord privilégier ses propres artistes. Il faut qu’on puisse aider et accompagner les compagnies le plus loin possible, mais on n’y arrivera pas tous seuls », conclut Alain Coulon. Il peut en tout cas compter sur un partenaire de choix : le public, qui semble animé d’un vrai appétit circassien. Les spectateurs n’attendent que ça : des spectacles de cirque qui font vibrer la rue pour l’amener dans un ailleurs d’émotions et d’inattendu.
Pluie de festivals de rue à Bruxelles et en Wallonie
Soyez curieux, sortez à découvert : c’est une pluie de festivals de rue qui vous attend ce printemps et cet été à Bruxelles et en Wallonie. Histoire de vous mettre en jambe, voici une petite sélection parmi les multiples rendez-vous. Ouvrez l’œil, il y en assurément d’autres encore à deux pas de chez vous !
Hopla!, 15>21/04, Bruxelles, www.hopla.brus els
Scène de villages, 04/05>12/10, Hesbaye brabançonne, www.scenedevillages.be
Voenk Festival, 26/05, Jette, www.essegem.be
Sortilèges, Rue et Vous !, 30/05, Ath, www.sortileges.be
Namur en Mai, 30/5>01/06, Namur, www.namurenmai.org
SuperVliegSuperMouche, 08 et 09/06, Forest, www.supervliegsupermouche.be
Le P’tit bazar festival, 22 et 23/06, Florée, www.lacompagniedumilieudumonde.be
Oh ! Festival, 22 et 23/06, Saint-Josse-ten-Noode, www.sjtn.brussels
Esprit de Famille, 23/06, Uccle, www.roseraie.org
Visueel Festival Visuel, 29 et 30/06, Berchem-Sainte-Agathe, www.visueelfestivalvisuel.com
Clownmania Belgium Festival, 30/06, Genappe, www.clownmania.be
Les Tchafornis, 06 et 07/07, Engis, www.ccengis.be
Bitume, 12>14/07, Petit Thiers, www.miroirvagabond.be
Les Tilleuleries, 14/07, Nassogne, www.ccnassogne.be
L’Allumette en fête, 25>27/07, Mesnil Eglise, www.lallumette.net
Soiron sur scène, 11/08, Soiron, www.rubiscube.be
Haaste Töne?!, 16>18/08, Eupen, www.haastetoene.be
Festival International des Arts de la Rue de Chassepierre, 17 et 18/08, www.chassepierre.be
Théâtres Nomades 22>25/08, Bruxelles, www.theatresnomades.be
Festival du Trottoir, 24/08, Seraing, www.lescarnetsdutrottoir.be
Rue du Bocage, 24 et 25/08, Herve, www.ruedubocage.be
Saintes Village en fête, 30/08>01/09, Saintes, www.saintes.info
Août en éclats, 31/08, Soignies, www.aouteneclats.be
Le Leû Festival, 31/08 et 01/09, Onnezies, www.maradesario.wixsite.com/leleu
Les Fêtes Romanes, 27>29/09, Woluwe-Saint-Lambert, www.wolubilis.be
Les Unes Fois d’un Soir, 28/09, Huy, www.1x1soir.be
Les Tailleurs, 05 et 06/10, Écaussines, www.lestailleurs.be
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L'auteur.e de l'article
Gilles Bechet
Giles Bechet est journaliste freelance. Curieux de tout, il aime se perdre dans la culture, celle qui pousse en salle, sous chapiteau et dans les terrains en friche. Pour y rencontrer toutes sortes de gens, des gens qui voient, qui ont vu et qui font voir. Ou qui ne font rien du tout et le font bien.