Hircus (Critique)

Avr/Mai/Juin 2019

Par la Compagnie des Chaussons Rouges

Le funambulisme ou l’art de regarder droit devant soi. La discipline demande une concentration intense, où le corps et l’esprit s’unissent dans un même objectif simple mais vital : poser un pied devant l’autre dans une pesanteur fragile. Aussi, quand on voit des artistes circuler sur le fil avec l’aisance d’un chat, on ne peut qu’être admiratif. L’élégance caractérise le travail de la Compagnie des Chaussons rouges, tout comme une volonté de sortir le funambulisme de son ornière haut perchée. En 2013, le duo originel composé de la Belge Audrey Bossuyt et l’Italienne Marta Lodoli proposait dans son premier spectacle, Petite Navigation céleste, une danse de l’équilibre et de l’osmose.

Ajoutez à présent une troisième paire de jambes sur le câble tendu, et le challenge n’en sera que plus audacieux. Confrontation ou harmonie ? Les deux, mon funambule. Dans Hircus, Julia Brisset (après Mariona Moya lors de la création au festival de Chassepierre en 2017) vient taquiner l’équilibre d’un duo bien en place. En retenue, les trois acrobates se la jouent guerrières, en tenues rouges, faisant tournoyer leur balancier avec la maîtrise de maîtres Shaolin perchés sur leur piquet en bambou. Chaque pied de plus sur le fil fait vibrer l’ensemble, l’équilibre est une question de maîtrise. En cas de faux pas, le même verdict pour toutes. Mais elles s’obstinent et, au son d’une ambiance sonore crée par Mark Dehoux et Simon Thierrée, le ballet se coordonne dans une étrange « danse du mille-pattes » : la première avance son pied, la seconde pose le sien à la place laissée libre et la troisième enchaîne le pas. Elles ne forment plus qu’un. La douce espièglerie de « l’intruse » a laissé place à la sérénité de l’ensemble, là où les individualités menaçaient. Le public reste silencieux, comme si le moindre souffle pouvait faire chavirer le trio.
Les duos se succèdent. Mais Hircus (nom latin de la chèvre domestique, capra hircus) chante finalement à l’unisson. « Solitaires mais grégaires » ou « L’union fait la force » pourraient être les sous-titres d’un spectacle sobre et gracieux, où seule peut-être une pincée d’humour supplémentaire dans les interactions de ses interprètes nous a manqué.

 

Vu le 11/11/2018 au Festival En l’air, à Court-Saint-Étienne.
Les 27 et 28/04 au Festival Prise de CirQ’ à Dijon (France), le 26/05 au Voenk Festival à Jette, le 30/05 au Festival Namur en Mai à Namur, le 13/07 à La Nuit des Merveilles à Bettembourg (Luxembourg), les 20/07 à De Haan, le 10/08 à Crazycircus au Château de Louvignies (Soignies), les 14 et 15/09 en ouverture de saison à De Warande, à Turnhout.

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L'auteur.e de l'article

Nicolas Naizy

Journaliste, Nicolas Naizy suit avec curiosité et attention l'effervescence de l'actualité culturelle à Bruxelles et en Belgique. Ses sujets de prédilection: les arts de la scène bien évidemment qu'il suit et critique pour Radio Campus et C!RQ en CAPITALE, mais aussi la littérature et la bande dessinée pour diverses publications.