Avr/Mai/Juin 2019

Simon Thierrée, né à Rennes en 1980, est compositeur et violoniste. Il joue et compose pour des compagnies de cirque et de danse dans toute l’Europe et ailleurs. Il produit des bandes-son pour le cinéma, courts et longs-métrages, films publicitaires et documentaires. Il a joué et/ou enregistré avec Tcha Limberger, Mandino Reinhardt, Vinicio Capossela, Squeaky Lobster, arrangé pour le chanteur belge Ivan Tirtiaux, le groupe Applause… Parallèlement, il développe ses propres travaux musicaux, indépendemment du monde du spectacle vivant et de l’image. Il publie en 2012 le CD Suite pour Orchestre à Cordes. Il réside à Bruxelles depuis 2006.

« Alors que j’étais à la fin de mon parcours d’étudiant au Conservatoire de Rennes, en France, en 1998, un proche ami saxophoniste (à l’époque, plus jongleur que saxophoniste) m’a proposé de partir avec un cirque, pour une reprise de spectacle et une tournée de six mois en Scandinavie. À la clé, mon statut d’intermittent (l’équivalent du statut d’artiste belge) et des promesses d’aventure. J’avais dix-huit ans et, pour la première fois, le directeur de la grande boîte de Conserve de la Musique m’a parlé comme à un être humain – dans son bureau, quand même : « Je te donne un congé d’un an, tu pourras reprendre tes études au même endroit, dans une année. Passé ce délai, tu seras renvoyé. Prends bien garde au choix que tu fais, car tu prends le risque de ne jamais revenir. »

Il avait, pour une fois, parfaitement raison ! Je suis parti dans un cirque. Genre punk. Les Oiseaux Fous, pour les connaisseurs. Un vieux rafiot de pirates, énorme vaisseau fantôme prenant un peu l’eau. À sa tête, un capitaine Fracasse borgne, tyrannique, buveur, menteur, manipulateur, coureur, anarchiste et rêveur. Les familiers apprécieront. Et une énergie à bouger tous ces vieux camions, ces presque paumés, ces apprentis artistes. On faisait des stages de clown, « d’expression corporelle », on montait des chapiteaux, on conduisait sans papiers, sans essuie-glaces. Je jouais du violon à califourchon sur une boule d’équilibre suspendue à trois mètres de haut, le batteur était un brin dépressif, le bassiste dormait tard, on jouait une espèce de free-jazz sauvage et naïf… Bref, enfin, je vivais ! Et la musique aussi.

Dans ce cirque, j’ai rencontré des artistes qui sont devenus des amis, des frères et sœurs, la famille, quoi. Des grands artistes aux côtés des ferrailleurs, maréchaux-ferrants, techniciens, monteurs de chapiteaux, mécanos. Un respect partagé par tous. Des manouches curieux : « Vous êtes de quelle famille ? »

J’y ai rencontré par exemple Boris Gibé, qui est devenu un bon corsaire lui-même, Roberto Magro avec qui je collabore toujours, à l’Esac à Bruxelles, à la Flic de Turin, et puis Florent Bergal à Toulouse, Élodie Doñaque – la meilleure trapéziste du monde –, et puis Claudio Stellato, Petr Forman, Samuel Jornot, Marion Collé, enfin, beaucoup de gens qui se connaissent, s’estiment et se respectent, malgré leurs différences, comme dans aucun autre milieu artistique de ma connaissance.

Le cirque reste mon premier amour, il m’a appris l’humilité de l’artiste qui travaille dur, dont j’aime par-dessus tout la modestie : jamais il ne sera vraiment célèbre !

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L'auteur.e de l'article

Laurent Ancion

Laurent Ancion est rédacteur en chef du magazine « C!RQ en Capitale ». Critique théâtral au journal « Le Soir » jusqu'en 2007, il poursuit sa passion des arts de la scène en écrivant des livres de recherche volontiers ludiques et toniques. Il est également conférencier en Histoire des Spectacles au Conservatoire de Mons et musicien.