Pour le praticien de cirque, l’apprentissage est sans fin. Quels sont les outils pour sa formation continue ? Si la transmission se poursuit en stages et workshops complémentaires, la génération « geek » que nous formons trouve aussi des ressources dans les nouvelles technologies.
Nous sommes connectés en permanence : à nos téléphones, à nos tablettes, à nos montres même. Une petite pause ? On zyeute vite la dernière vidéo virale. Ce gars qui se plante de son toit, ça vous donne peut-être l’envie d’une acrobatie. Jongler avec des tronçonneuses ? Génial ! Mais comment ne pas se couper un bras ? Pas de souci, il y a un tuto pour ça. Une musique passe dans un bar. On dégaine Shazam pour identifier ce qui pourrait servir d’accompagnement musical idéal à un numéro de tissu aérien. Pour apprendre, s’inspirer et… transmettre, les outils numériques offrent de belles potentialités aussi dans le cirque. Sont-ils déjà exploités ? Petit tour d’horizon joyeusement subjectif des outils repérés sur la Toile.
Tutos
On a tous tenté de trouver un mode d’emploi sur YouTube : pour fixer un luminaire, réussir une pâte feuilletée ou fabriquer ses propres bougies. Pour jongler aussi ? Pas de problème, les plateformes de partage vidéo regorgent de tutoriels pour faire s’envoler 3, 4, 5 balles, voire plus (on a trouvé jusqu’à 12, mais c’était plus une démonstration de force qu’un tuto). Comme souvent sur le web, il y a de tout… Au rayon de la transmission sérieuse, des professionnels dispensent leurs bons conseils via des vidéos explicatives assez détaillées. Par exemple, le Néerlandais Niels Duinker prodigue ses bons conseils de jongleur sur YouTube, tout comme le site de l’International Jugglers’ Association. D’autres professionnels commercialisent leurs tutoriels, comme Anthony Gatto, un jongleur passé par le Cirque du Soleil et dont la technique est unanimement respectée.
Au-delà de la jonglerie, le Centre national des arts du cirque (Cnac), à Châlons-en-Champagne, a construit avec la Bibliothèque nationale de France une véritable encyclopédie multimédia du cirque. Cet ouvrage de référence gratuit (cirque-cnac.bnf.fr) retrace à la fois une histoire en textes et en images du cirque. Elle comporte, dans sa page consacrée à l’acrobatie, des vidéos décortiquant de manière détaillée les principaux agrès et figures. À l’instar des captations reprises sur la webTV du Cnac (cnac.tv), l’initiative est ici davantage patrimoniale que pédagogique, mais elle peut s’avérer inspirante.
Petite précision : si suivre un tutoriel de jonglerie présente peu de danger, les formateurs le déconseillent pour l’acrobatie… En voulant imiter une figure vue en ligne, l’autodidacte pourrait négliger quelques présupposés de sécurité ou apprendre un mouvement inadéquat, voire carrément dangereux. En outre, se départir d’une mauvaise habitude, même pour un professionnel, est particulièrement difficile.
Applications et logiciels
Parmi les outils technologiques appliqués aux arts de la scène, le nom de MemoRekall apparaît de plus en plus, y compris dans le monde du cirque. Cette application permet l’annotation des captations vidéos. Il est donc possible d’y expliquer figures et enchaînements par l’insertion de textes ou de photos. Chercheuse au CNRS français et professeure d’université, Clarisse Bardiot l’a conçu avec l’aide de développeurs et designers pour offrir aux institutions culturelles un outil de médiation plus pratique que les bons vieux dossiers pédagogiques. En documentant les spectacles, l’application fait acte de transmission et de mémoire en préservant les œuvres, enjeu majeur en arts vivants. Très vite, MemoRekall a été utilisé par les artistes en répétitions et par des enseignants dans leurs cours. Ses avantages : il rassemble plusieurs documents dans un seul et même fichier numérique, il est très simple d’utilisation (« Je l’utilise avec des enfants dès douze ans », nous a dit Clarisse Bardiot) et sa mise à disposition est gratuite en Open Source (memorekall.com).
Très originale, cette application n’est pas la seule à faire ses preuves. Au sein du projet européen CIRCollaborative Tools, lancé en 2017, huit structures du secteur du cirque contemporain, dont l’Espace Catastrophe à Bruxelles, testent des méthodes de travail collaboratif pour la création. Le partage de documents et l’échange s’y explorent par MemoRekall, Drive, Trello ou encore la messagerie Slack. L’objectif est également le développement d’outils propres (1).
(1) Pour ceux que l’expérience intéresse, l’Espace Catastrophe organise, du 26 au 29/06, « CIRcoTEC.brussels », 4 journées ouvertes aux artistes, aux compagnies et aux opérateurs, pour découvrir et explorer les outils collaboratifs : 3 jours d’ateliers à l’Espace Catastrophe (26, 27 et 28/06), suivis d’une rencontre-conférence, samedi 29/06 en matinée dans le cadre du Visueel Festival Visuel à Berchem-Sainte-Agathe.
Cours en ligne
L’e-learning est en plein boom, dans de nombreux domaines. En cirque, ce champ reste à conquérir, comme celui des applications dédiées. On en trouve toutefois un puissant exemple avec l’École nationale de cirque de Montréal, qui propose une formation d’instructeur en arts du cirque en ligne. Elle est destinée aux circassiens professionnels, mais aussi aux professeurs d’éducation physique et aux animateurs socio-culturels. Cette formation de 17 semaines (moyennant un minerval de 2000 dollars canadiens, c’est-à-dire environ 1300 euros) permet d’acquérir un bagage pédagogique pour animer des ateliers auprès de jeunes ou bien pour intégrer le cirque dans les formations plus générales. La plateforme en ligne permet aussi l’échange avec les professeurs via des vidéo-conférences régulières. La présence physique est cependant requise lors des deux semaines d’évaluation, l’une à Montréal l’autre à Lausanne, au cours de la session. Tout n’est pas encore digitalisé !
Se former tout au long de sa vie
Dans la plupart des secteurs professionnels, la formation continue est un enjeu primordial pour acquérir de nouvelles compétences ou affiner celles dont on dispose. Le cirque, qui nécessite en outre un entretien physique permanent, connaît bien la question : les artistes sont légion à enrichir leur vie professionnelle avec des stages, des masterclasses, des workshops,… « Des piqûres de nouveauté intenses et bouleversantes dans cet apprentissage qui n’a pas de fin », résume joliment Sarah Devaux, de la Compagnie Menteuses. Bruxelles n’a pas à rougir de son offre pour les professionnels. Cette offre est d’ailleurs citée comme argument par les artistes étrangers, pour illustrer leur choix de vivre dans la capitale belge. En cirque, l’Espace Catastrophe propose, à travers ses rencontres internationales pour professionnels ou son programme « JeuX de Piste », une foule de propositions dans quasiment toutes les disciplines. Les cours et les stages sont ouverts aux amateurs adultes, aux jeunes désireux de présenter un concours d’admission à une école supérieure, mais aussi aux professionnels de tous horizons dans les ateliers siglés « Artists Friendly ». L’École de Cirque de Bruxelles et son Centre européen du funambulisme (des établissements également ouverts aux amateurs) proposent d’autres occasions d’apprendre ou de se perfectionner. Bruxelles regorge également de propositions de formations et stages en danse, théâtre, musique, que les artistes fréquentent abondamment. Seul reproche que nous ayons récolté : si cette offre est intense, elle est parfois perçue comme disparate.
La question de la structuration n’est pas que bruxelloise. En Europe, le monde circassien et la Fedec (Fédération européenne des écoles de cirque) ont bien conscience d’un manque de coordination. La demande du secteur est grande. La Fedec espère profiter des moyens offerts par la stratégie européenne « Éducation et formation 2020 », et plus spécifiquement par le Lifelong Learning Program, pour structurer une formation continue pérenne. Ces fonds soutiennent déjà le projet CATE (Circus for Adult Training Europe), qui organise des cours et des masterclasses à travers le continent (notamment au Circuscentrum, à Gand).
Par ailleurs, la Fedec travaille à la formation continue des enseignants en arts du cirque en école supérieure, via son programme d’échanges INTENTS (aidé par le programme européen Erasmus+), qui a déjà provoqué de belles rencontres et des résultats comme ces manuels de techniques circassiennes en consultation libre sur le site de la Fedec (section « Ressources > Manuels »).
En Europe, le DOCH, à l’Université de Stockholm, et le Centre national des arts du cirque de Châlons-en-Champagne font aujourd’hui figure de pionniers avec leurs formations continues à destination des circassiens professionnels. Des programmes qui ne manqueront pas d’inspirer les bonnes volontés.
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L'auteur.e de l'article
Nicolas Naizy
Journaliste, Nicolas Naizy suit avec curiosité et attention l'effervescence de l'actualité culturelle à Bruxelles et en Belgique. Ses sujets de prédilection: les arts de la scène bien évidemment qu'il suit et critique pour Radio Campus et C!RQ en CAPITALE, mais aussi la littérature et la bande dessinée pour diverses publications.