Le zoom arrière d’Anne Kumps

Avr/Mai/Juin 2019

La « dame loyale » des Halles de Schaerbeek s’apprête à tirer sa révérence. Programmatrice cirque, Anne Kumps a suivi de près l’évolution des pistes contemporaines : elle analyse avec nous le boom créatif de ces trois dernières décennies.

Passionnée de cirque contemporain, qu’elle programme depuis 30 ans aux Halles de Schaerbeek, Anne Kumps s’apprête – malgré sa bouille de gamine – à prendre sa retraite à la fin de cette saison. Quel est son regard sur l’évolution des pistes au fil des trois dernières décennies ? De la poésie foutraque du Cirque Plume (qu’elle programma dès 1993) à la rigueur minimaliste de Mathurin Bolze, en passant par l’épure chorégraphiée de Yoann Bourgeois ou la créativité de la compagnie Feria Musica de Philippe de Coen, elle a vu la piste ronde se contorsionner dans tous les sens et le chapiteau s’envoler à plusieurs reprises.
« Je constate avant tout que la diversité n’a fait que croître, à l’image des compagnies qui se sont multipliées de manière exponentielle. » Un boom créatif porté par la singularité de nombreuses propositions, comme celle de l’inclassable Claudio Stellato, l’arrivée d’approches si différentes qu’on ne sait plus vraiment s’il s’agit de cirque ou de danse et le développement du numérique qui a encouragé la magie nouvelle. Des aventures avant tout humaines, où l’on compte aussi « les Argonautes ou le Carré Curieux, une compagnie suivie de près par les Halles, qui repose sur la personnalité d’un quatuor doué pour cultiver ses différences. »
Évolution des langages, certaines compagnies se sont concentrées autour d’un seul agrès, comme les Arts Sauts, spécialistes de l’aérien, dont on admirait les spectacles en étant couchés dans un transat. À leur manière, Les Colporteurs défendent également l’utilisation d’un seul agrès. Victime d’un accident, Antoine Rigot a raconté au public une formidable histoire de résilience puisque, malgré son handicap, il est remonté sur le fil. Récemment, au
festival Hors Pistes, le coup de cœur d’Anne Kumps, Monstro, du Collectif Sous le manteau, déployait huit artistes au mât chinois. Du jamais vu, pour un spectacle plein de force monochrome. Au fil des décennies, les Halles en ont vu de toutes les couleurs : ainsi de
l’approche créatrice de Feria Musica qui fascina, dès 1997, avec le feu et les chevaux de ses Liaisons dangereuses, puis s’inspira du jeu de Kapla pour imbriquer d’immenses poutres les unes dans les autres dans Calcinculo en 2000, avant d’inventer, en 2009, un improbable entonnoir géant du nom d’Infundibulum.
« La multiplication des écoles, leur professionnalisation et leur internationalisation ont également contribué à l’évolution du cirque contemporain », rapporte Anne Kumps qui a privilégié les liens avec l’Ésac, dont elle a suivi l’évolution. « Un peu partout en Europe, on a vu apparaître des écoles de plus en plus performantes qui n’ont pas hésité à introduire d’autres disciplines, la danse en particulier, et à faire appel à des chorégraphes pour leurs mises en scènes. » Autre évolution, la création pour la scène plutôt que pour le chapiteau, une manière de toucher un autre public. « Au National avec le Festival XS, à Mons, à Namur ou dans d’autres lieux à Bruxelles, dans le cadre du Festival UP! de l’Espace Catastrophe, on voit de plus en plus de théâtres ouvrir leurs portes au cirque et cela doit continuer », insiste notre interlocutrice, qui conclut par un vif souhait : le développement des lieux dédiés à la création circassienne.

Tags :

Le virus du cirque a touché l’ULB

Imperturbablement, la piste élargit son cercle : en l’occurrence, son cercle étudiant. Pour la première fois, le cirque contemporain s’est invité au Théâtre Ouvert de Bruxelles, ce festival organisé depuis 12…

Pub Show Urbain (Critique)

Par les compagnies Lady Cocktail et Du Grenier au Jardin Que se passerait-il si, tel une série du dimanche soir à la télé, un spectacle était entrelardé de publicités ?…

Cirque suisse, un Romand contemporain

Le grand public ne jure encore que par la tradition de Knie ou de Nock. Mais la révolution est en cours : le cirque suisse a commencé à écrire ses pages...

Rester connecté

Pour le praticien de cirque, l’apprentissage est sans fin. Quels sont les outils pour sa formation continue ? Si la transmission se poursuit en stages et workshops complémentaires, la génération « geek »...

Hircus (Critique)

Par la Compagnie des Chaussons Rouges Le funambulisme ou l’art de regarder droit devant soi. La discipline demande une concentration intense, où le corps et l’esprit s’unissent dans un même…

Transmettre en bonne compagnie

Scolaire, cadrée dans des manuels, la transmission est aussi empirique – et heureusement. Comment se passe l’échange des savoirs au sein des compagnies ou en famille ? La transmission s’y joue en...

Une pédagogie de l’écoute

Les pratiques du cirque contemporain sont en mutation constante. Comment les écoles supérieures accompagnent-elles ce mouvement ? Par la diversification des formateurs et des approches, les établissements veulent transmettre la curiosité,...

« On reconnaît un maître à son humilité »

Héritée de la nuit des temps, la figure du maître reste présente dans le cirque d’Europe occidentale. Le rapport maître-élève est toutefois basé sur l’écoute plutôt que sur la contrainte,...

« Le partage est dans l’ADN du cirque »

En cirque, la notion de « transmission » dépasse de loin les lois de la mécanique. Comment le mouvement se transmet-il ? Que ce soit en écoles, en famille ou en (bonnes) compagnies,...

Simon Thierrée

Simon Thierrée, né à Rennes en 1980, est compositeur et violoniste. Il joue et compose pour des compagnies de cirque et de danse dans toute l’Europe et ailleurs. Il produit...

Naviguez dans le numéro

L'auteur.e de l'article

Laurence Bertels

Auteur et journaliste @lalibrebe jeune public, arts, scènes, littérature.