Dévoiler les secrets de la magie nouvelle, discipline dont le fonctionnement-même repose sur le secret, est à peu près aussi simple que de divulguer le nom des agents infiltrés du KGB. Mais heureusement pas aussi dangereux. Décryptage d’un savoir-faire qui a le vent en poupe.
Si les tenants de la discipline ont tenu à ce que leur magie soit qualifiée de « nouvelle », c’est pour se départir des clichés véhiculés par les bons vieux prestidigitateurs en queue-de-pie, flanqués de leurs colombes. Au 19e siècle pourtant, Robert Houdin parlait déjà de « magie moderne », considérant que « le magicien est un acteur qui joue le rôle de magicien ». Deux siècles plus tard, une bande de jeunes sorciers donnent à leur tour quelques coups de pied dans la fourmilière, voire dans l’élevage de lapins à chapeau, pour réinventer cet art de l’illusion.
En 2011, dans leur manifeste « Pour une magie nouvelle », les Français Raphaël Navarro et Clément Debailleul jettent les bases de leur discipline, la définissant comme un « art dont le langage est le détournement du réel dans le réel ». En Belgique, on voit alors débarquer une danseuse capable de lévitation (Le corps, de la compagnie 14:20, fondée par Navarro et Debailleul), un dompteur de fantômes et autres méduses volantes (Les Limbes d’Etienne Saglio) ou encore une quatrième dimension où le mobilier se mange, les corps se transforment et la jonglerie provoque des mirages (Oktobre avec Yann Frisch). Des Belges eux-mêmes expérimentent désormais la magie nouvelle sur notre territoire, comme Laurent Piron (Battement de peur) et le mentaliste Kurt Demey (Évidences inconnues).
Fi des baguettes, foulards ou femmes coupées en deux (vous pourrez le faire à la maison grâce à notre mode d’emploi, ci-dessous), cette nouvelle génération se revendique plutôt des nouvelles technologies, du cirque, de la danse ou de la marionnette. « Nous avons envie de revenir à la base de la magie, à ce sentiment magique quand le réel se trouble », analyse Etienne Saglio. À force d’user des prestidigitateurs, de leurs boîtes et de leurs défis permanents, on avait perdu cette sensation très puissante du réel qui devient soudain incroyable. »
Pour Pedro Miguel Silva, qui pratique la discipline depuis plusieurs années, le cirque et la magie nouvelle était destinés à se croiser. « Tous les deux jouent sur l’impossibilité du corps, le fait de faire des choses extraordinaires », lance l’artiste portugais, formé en acro-danse à l’Ésac, avant d’apprendre la magie nouvelle au Cnac à Châlons, seul lieu à dispenser ce genre de formation. Avec sa compagnie Watewam, Pedro Miguel Silva aide les compagnies à créer des « tours » : lévitation, vol d’objets dans les airs, ralentis cinématographiques. Il leur fait alors signer un contrat de confidentialité. « Ce contrat stipule que les artistes ont le droit d’utiliser la technique dans un spectacle précis mais pas dans d’autres spectacles. » C’est exactement la procédure qu’ont suivi, en 2017, Michèle-Anne De Mey et Jaco Van Dormael pour créer Amor, où la danseuse s’envolait en apesanteur. « Nous avons ‘acheté’ le tour de magie. Vous savez, comme avant, quand on payait 50 francs au magicien pour qu’il révèle son truc. Eh bien, c’est un peu la même chose sauf qu’ici, on emprunte tout le dispositif », nous dévoilait à l’époque Jaco Van Dormael.
De son côté, Pedro Miguel Silva relativise la culture du secret. « Au niveau des trucages, aujourd’hui, on trouve tout sur Internet. Mais il n’y a pas que le ‘truc’ : il y a aussi des techniques d’écriture, de détournement de l’attention, de rythme. Quand les gens voient un fil, ils ont l’impression d’avoir tout compris mais ce n’est qu’une partie infime de la magie. » La partie immergée de l’iceberg tient surtout en une série de contraintes techniques et un décor (souvent dicté par l’obscurité) qui se transforme en « matière à rêver », selon l’expression de la scénographe Claire Jouët-Pastré. Le rêve et l’émerveillement, voilà peut-être les principaux agrès des nouveaux magiciens. « Avant, vous aviez quelqu’un qui disait : ‘Regardez-moi, j’ai des pouvoirs magiques’ », souligne Pedro Miguel Silva. « Mais aujourd’hui, le rôle du magicien n’existe plus. Il ne s’agit plus de comprendre comment ça marche, mais de se laisser emporter dans une émotion, de renouer avec une part d’enfance. » Même conclusion chez Etienne Saglio : « De la même façon que, quand on voit une marionnette, on oublie souvent le marionnettiste, j’essaie de retrouver cette complicité avec le spectateur qui fait qu’il ne cherche plus à voir le trucage. »
CATHERINE MAKEREEL
Mode d’emploi : L’individu coupé en deux
C’est loin d’être de la magie nouvelle, mais ça fait toujours son petit effet. Plus saisissant qu’un banal tour de cartes, l’illusion consistant tout d’abord à découper une personne en deux (généralement votre assistante) et ensuite à la recoller fera la joie de votre auditoire. C’est en tout cas l’avis général, depuis qu’un certain Torrini s’y serait essayé le premier devant le Pape Pie VII en 1809. Il ne vous faudra pas énormément de matériel : tout dépendra du génie de votre (voire de vos) partenaire(s), dont la souplesse sera déterminante, comme on pourra le découvrir dans le mode d’emploi ci-dessous. Votre responsabilité sera de choisir la scie la plus effrayante possible. Ne lésinez pas sur le ketchup, ça pimente.
LAURENT ANCION
1. Belle découpe, très nette. Comment obtenir semblable résultat sans blesser personne ?
2. Votre premier assistant ne s’allonge pas, mais se recroqueville, pendant que le deuxième, caché d’avance dans son cube, sort ses pieds au moment ad hoc.
3. Principe relativement similaire, sauf que le comparse est caché dans la table (creuse) sur laquelle le public croit que les cubes reposent.
4. Plus simple si vous manquez de personnel : votre assistant s’allonge dans la cavité ménagée dans la table. Les pieds sont factices, c’est moins visuel.
5. Le même tour, de dos et sans la boîte. Comment découper l’individu à la vue de tous ?
6. Selon un principe connu, les tables creusent permettent de préalablement dissimuler une partie des corps, en coulisses bien entendu.
Bon amusement !
L’œil de la maestria
Claire Jouët-Pastré est conceptrice et réalisatrice de décors. Elle s’intéresse de près à l’illusion et travaille notamment avec Yann Frisch. Dans un texte qu’elle signe dans Poétiques de l’illusion (1), elle rappelle que tout effet magique est lié à celui qui le regarde. « Ce ne sont pas nos yeux qui déterminent ce que nous voyons. Notre vision du monde dépend bien plus de la façon dont notre cerveau traite les informations et leur accorde ou non du crédit. Prenons un exemple concret : il paraîtrait qu’après une attaque cérébrale, certains patients souffrent de négligence spatiale unilatérale, ce qui les conduit par exemple à ignorer la nourriture se trouvant dans la partie gauche de leur assiette. Leurs yeux ont beau fonctionner parfaitement, ils ne perçoivent plus que la partie droite de leur champ de vision. Pour eux, la partie gauche n’existe plus. Elle ne fait plus partie de leur réalité. (…) Le seul monde que nous connaissons est celui que notre cerveau invente pour nous en permanence et, finalement, la perception que nous croyons conforme à ce qu’il est réellement n’est pas si sûre. Les magiciens, illusionnistes et mentalistes savent utiliser ces défaillances, voilà pourquoi leurs pratiques m’intéressent. »
CATHERINE MAKEREEL
(1) Coédité par Alternatives Théâtrales, THEMAA, l’Institut International de la Marionnette et le Centre national des arts du cirque pour la chaire ICiMa.
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L'auteur.e de l'article
Catherine Makereel
Journaliste indépendante (Le Soir).