Le cirque vu par Wim Vandekeybus

Oct/Nov/Déc 2019

Chorégraphe de l’instinct, du risque et du choc, Wim Vandekeybus est l’auteur d’une trentaine de spectacles dont la plupart ont fait le tour du monde.

BIO XPRESS : Né à Herenthout, dans la Province d’Anvers, en 1963, cet artiste touche-à-tout varie les formes (films, clips, photos, chorégraphies) tout en restant immédiatement reconnaissable. Dès 1987, What the Body Does Not Remember, à l’énergie brute, donne le ton de sa compagnie Ultima Vez, installée depuis à Bruxelles. Repoussant les limites physiques, Wim Vandekeybus s’emploie aussi depuis plus de trente ans à défier la limite entre les genres, grâce à la collaboration avec des danseurs, des circassiens, des acteurs, des musiciens et des artistes issus de nombreuses disciplines.

« Je suis un « selfmade man » qui se considère comme un amateur professionnel.

1987. What the body does not remember. Ma première création. Je savais très bien ce que ça ne devait pas être, autour de quoi ça ne devait pas tourner et à quoi ça ne devait certainement pas ressembler. Avec dix jeunes artistes inexpérimentés, j’ai élaboré un « spectacle physique » à partir d’un manque de connaissances. Il n’appartenait à aucune catégorie : ce n’était ni de la danse, ni du théâtre, mais une expérience vécue sur scène qui m’a catapulté dans ce monde. Je ne pensais pas non plus au cirque, bien que je connaissais Buster Keaton et le considérais comme le meilleur danseur de la planète, ce qui est toujours le cas aujourd’hui. Mon propre langage scénique est né d’une nécessité ; je n’avais aucune connaissance technique sous la main. Je désirais créer un langage où c’est l’intuition qui vous guide à travers l’obscurité, un langage intrépide, associatif. Je fuyais les références.

Après bien d’autres créations, nous reprenons en 2011 ce premier spectacle, fidèles à la version originale, mais avec une nouvelle équipe. Une tournée mondiale attire un public de deux générations plus jeune. C’est toujours du travail sur le fil du rasoir et ce n’est toujours pas vraiment de la danse ; les pierres jetées frôlent les têtes. Un spectacle qui a marqué un tournant pour la danse contemporaine demeure une expérience, 25 ans plus tard.

Pourtant, quelque chose a changé. Pas le spectacle en lui-même, mais la manière dont il est perçu par le public. Aujourd’hui, de jeunes personnes m’approchent et me félicitent de la forme du «nouveau» cirque que dégage, à leurs yeux, cette représentation. Ils s’expriment élégamment, dans un langage qui témoigne non pas d’un manque de connaissances mais d’une éducation poussée dans le domaine. Je me sens instantanément propulsé dans les années 80, quand j’essayais de convaincre des artistes, avec mes arguments philosophiques rapiécés, du fait que nous allions créer quelque chose ensemble qui allait tout changer. Une poignée de motifs sillonnent sans cesse mon œuvre : l’ironie de l’objet, l’indifférence de la nature face à la passion humaine, la répétition, l’espace-conflit et la beauté de l’accident, thème dont je ne pourrai sans doute jamais me défaire.

La chaise rit en silence de l’homme qui pense qu’il a vu une chaise et qui va s’asseoir dessus. Une chaise couchée modifie notre perspective de l’espace. Je tiens ma pierre dans la main, tu tiens la tienne. Mais si je te jette une pierre ? À qui cette pierre appartient-elle, le temps de son vol ? Deux décennies après cette première représentation, j’apprends que je n’ai rien inventé, mais que j’ai plutôt créé un nouveau point de vue, en découpant les coins des cadres afin que les formes puissent se mélanger. J’ai fait du cirque, en quelque sorte, sans le savoir. De surcroît, je sais que le cirque étudie avec enthousiasme le monde du théâtre et de la danse, le suit avidement et partage avec lui ses studios et ses créateurs. Et vice versa.

Les gens viennent observer notre travail, ils veulent vivre une expérience, être transportés et émus. Le public veut rire, pleurer et… oui, de nos jours, il veut aussi comprendre. Mais le cirque, la danse et le théâtre ne doivent aucune explication à personne et la pureté n’existe plus.

Vive la liberté ! »

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L'auteur.e de l'article

Laurent Ancion

Laurent Ancion est rédacteur en chef du magazine « C!RQ en Capitale ». Critique théâtral au journal « Le Soir » jusqu'en 2007, il poursuit sa passion des arts de la scène en écrivant des livres de recherche volontiers ludiques et toniques. Il est également conférencier en Histoire des Spectacles au Conservatoire de Mons et musicien.