Le cirque contemporain est de plus en plus présent dans nos salles de théâtre. Les programmateurs lui témoignent un intérêt exponentiel… et le public en raffole. Preuve de l’évolution d’un art, d’un goût de plus en plus prononcé pour l’interdisciplinarité et d’une certaine ouverture de notre société.
Longtemps cantonné à des lieux spécifiques – en périphérie des villes, sous chapiteau –, le cirque s’invite aujourd’hui très volontiers au théâtre. On le croise ainsi de plus en plus fréquemment à l’affiche d’un festival de courtes formes, d’une sélection de performances ou tout simplement d’une saison théâtrale.
Cette ouverture du théâtre à un autre art témoigne, d’abord, d’une ouverture de la société, sans doute moins soucieuse des genres. Ensuite, on peut y voir un goût de plus en plus marqué pour l’interdisciplinarité des arts de la scène. C’est ce qui guide notamment Alexandre Caputo, directeur artistique du Festival XS (ce florilège de formes courtes présentées chaque année, fin mars, au Théâtre National). Il affirme même « distinguer de moins en moins les différentes disciplines au sein des arts de la scène ». Les influences ou les croisements entre danse, musique, théâtre et cirque sont en effet légion. Parce les scènes sont en mutation, et les publics sont en mutation. Alexandre Caputo affirme même avoir expressément créé XS pour encourager cette mutation positive par l’interdisciplinarité. « Je suis très sensible à la diversité. Elle est essentielle. La recherche d’une homogénéité, telle qu’on la voit parfois dans nos sociétés actuelles, et la recherche de pureté qui s’y greffe, sont très dangereuses. On assiste à un repli identitaire, en Europe en général, en Belgique en particulier. Nous qui travaillons avec l’argent public, il est normal et nécessaire que nous travaillions à l’ouverture artistique. Et ce, pas seulement de façon abstraite, mais aussi de façon formelle. L’ouverture du théâtre au cirque participe à ce mouvement. »
Enseignement contre tradition
Si le théâtre s’ouvre, c’est aussi parce que le cirque a connu une profonde mutation et s’est réinventé. « Le cirque s’est théâtralisé », commente Philippe Jolet, « spectateur professionnel » qui voit une trentaine de spectacles de cirque par an, en plus des représentations de théâtre dans leur acceptation large. Cofondateur de la Compagnie de la Casquette (théâtre jeune public), il est aussi papa d’une circassienne (Marie) et d’un acrobate-danseur (Colin). « Je vois plusieurs raisons à cette transformation du cirque », poursuit-il. « D’abord, les écoles de cirque ont participé à ce que les artistes se forment de façon plus complète. Aujourd’hui, quand on est circassien en devenir, on ne se limite plus, ou très rarement, à la maîtrise d’une seule technique. On s’ouvre à plusieurs d’entre elles. » La raison historique ? « Tout ça a commencé dans les années 80. Avec des lieux comme le CNAC [Centre National des Arts du Cirque, à Châlons-en-Champagne, ndlr], des personnes ont eu la volonté d’aller chercher ailleurs, vers la danse, la musique. De créer, à côté des cendres d’un cirque traditionnel dont on n’avait plus nécessairement envie, un autre cirque, avec des spécificités différentes. On a imposé aux étudiants de travailler un instrument, par exemple. Tous ces apports ont eu un impact évident sur la dramaturgie des spectacles que ces mêmes étudiants ont fait en sortant de l’école. Quelque chose de plus abouti qu’un simple numéro, avec une histoire qui se raconte. Parce qu’il y a clairement la volonté d’utiliser les différentes techniques apprises, de les traduire à la piste. »
Le théâtre, tout un cirque
Si le cirque s’est ouvert au théâtre, l’inverse est de plus en plus vrai aujourd’hui : le théâtre se fait cirque ! C’est l’avis de Matthieu Goeury, programmateur et directeur artistique du Vooruit, à Gand. En cheville avec le Circuscentrum, il signait la programmation du festival Smells like Circus en ce début d’année. « Quand on met le label cirque sur un spectacle, souvent, ça diversifie le public. Ce sont des œuvres jugées plus facile à attraper, dont la dramaturgie est plus facile à saisir. Du coup, le cirque est toujours un succès de billetterie. Mais avec Smells like Circus, l’idée est aussi de se dire que le théâtre, de plus en plus, tend vers la forme circassienne. Qu’il travaille sur ce même schéma de numéro, un numéro qui s’allongerait durant 50 minutes. » Le festival propose dès lors un panaché audacieux : des spectacles de cirque, programmé par le Circuscentrum, et des performances, qui puisent dans la forme circassienne, choisies par Matthieu. « Il n’est pas question de proposer des formes d’écritures trop complexes, ce n’est pas le lieu. Par contre, nous avons constaté que ces propositions circassiennes permettent ensuite d’amener vers le théâtre un public qui ne s’y intéresse pas d’emblée, parce qu’il pense que c’est inintéressant ou compliqué. » Le cirque comme « appât » pour le théâtre, en quelque sorte. Et ça marche !
Des lieux ouverts
Enfin, comme on doserait une gamme de couleurs, certains lieux de spectacles programment du cirque car ils se veulent pluriels. Leur but ? Sortir d’une programmation monothématique, exprimer leur envie de diversité et emmener leur public… qui les suit ! « J’ai à cœur de proposer à mes spectateurs une programmation plurielle. Et le cirque en fait partie », affirme Valérie Mahieu, à la tête de Wolubilis, à Woluwe-Saint-Lambert. « Je crois à l’effet ‘vase communiquant’. Dans nos programmes de saison, on livre beaucoup d’images de spectacles. Certains spectateurs, qui se croyaient uniquement intéressés par le théâtre, voient des images de spectacles de cirque et se laissent ainsi happer ! » La curiosité est contagieuse. Mais elle est bien sûr soumise aux capacités structurelles du lieu. « Chez nous, on peut accueillir du cirque, et plutôt bien, parce que la salle s’y prête », poursuit Valérie Mahieu. « On a à la fois une structure importante – un plateau de 120 mètres carrés, un haut dégagement sous le grill – et une infrastructure qui sait rester intime, où le public est proche des artistes. »
Pour poursuivre l’ouverture des lieux théâtraux au cirque, outre la volonté bien sûr, il faut donc relever des défis structurels. Mais l’imagination y remédie souvent – avec des structures mobiles en extérieur par exemple, comme c’est le cas lors des Fêtes Romanes à Wolubilis. Des partenariats entre lieux permettent aussi de combiner les rêves. Les envies semblent en tout cas converger, tant dans le chef des programmateurs théâtraux que dans le monde du cirque, en perpétuelle évolution. Et c’est tant mieux. Pour que les publics s’ouvrent à la diversité scénique comme on pratique plusieurs langues dans ce monde. Celle des mots, des cœurs et des corps.
Micro-Trottoir
Théo, 17 ans
« C’est de l’art. C’est une façon de s’exprimer avec le corps. Je trouve cela beau. C’est comme la danse, c’est un art du mouvement, qui demande de la technique, de la précision et beaucoup d’entraînement. Tout repose sur la confiance en soi et en ses partenaires. »
Dominique, 63 ans, spectatrice
« Mon image du cirque, c’est du risque. Des hommes et des femmes font des choses que peu de gens savent faire. Cela me donne du bonheur, pas de la peur. Je déteste éprouver des craintes au spectacle, et ce risque selon moi ne doit pas être celui qui nous effraie, mais nous rassemble. Même si j’adore le théâtre, j’ai l’impression qu’à travers leur engagement physique, le partage des circassiens est plus direct. »
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L'auteur.e de l'article
Catherine Makereel
Journaliste indépendante (Le Soir).