Se passant volontiers de mots, les spectacles de cirque se prêtent particulièrement bien aux tournées internationales. Mais comment y accéder ? Réseaux officiels, contacts personnels et créativité constante structurent cette dynamique essentielle à l’économie circassienne.
L’économie du cirque : un modèle spécifique, éloigné de celui du théâtre. Quand ce dernier peut parfois se satisfaire des retombées des étapes de production et des préventes, le cirque, dont la gestation est plus longue, doit voir plus loin, en temps comme en lieu. Son langage, corps plutôt que mots, s’ajuste à l’exportation internationale. Sur le terrain, cependant, la diffusion n’est pas simple. Entre aides structurelles, réseaux festivaliers, contacts personnels et (beaucoup d’) humanité, éclairage sur un parcours à plusieurs niveaux, qu’il convient de réinventer sans cesse.
Genèse et amplitude
« Pour rentrer dans ses frais, un spectacle de cirque doit se jouer entre 60 et 150 fois », estime pour sa part Anne Kumps, programmatrice aux Halles de Schaerbeek. Tout est dit ? Peut-être, mais dans la pratique, ce n’est pas simple. Tous les témoignages concordent : il faudrait que la diffusion se pense en même temps que la création, ou à peu près. Ce qu’oublient parfois les artistes. « Ils pensent d’abord création, puis, une fois le processus bien entamé, pensent diffusion. Mais c’est trop tard », observe Anne Kumps. « La communication autour d’un spectacle doit être centrale ; c’est stratégique », souligne à son tour Koen Allary, directeur du Circuscentrum, plateforme du cirque en Flandre. « Les artistes doivent penser dès le départ à quelqu’un qui gèrera leur stratégie. » La date choisie pour la première, par exemple, est cruciale. L’étape de production, recherche de coproduction ou de résidence, peut assurer le début d’une diffusion : une fidélité et une connivence se créent avec les lieux partenaires, qui connaissent le projet « de l’intérieur » et s’engagent parfois à accueillir le spectacle chez eux.
Le choix des lieux, aussi, est stratégique. En Belgique, le réseau Arts et Vie, subventionné par la Fédération Wallonie-Bruxelles, offre un soutien financier à la diffusion, par le biais d’une prise en charge du cachet du spectacle. Un allégement financier conséquent pour les programmateurs. Sauf que, notre Fédération, on en a vite fait le tour. Et rares y sont les salles équipées techniquement pour l’accueil du cirque. Très vite, il faut penser « international »… et faire face à des coûts de déplacements beaucoup plus importants. Au niveau institutionnel de la Fédération Wallonie-Bruxelles, des soutiens sont possibles, comme celui du WBI (1). Soit une prise en charge des déplacements, selon certains critères. « Dans ce cas, le lieu où se joue le spectacle doit être un réel tremplin à la diffusion, avec une présence de programmateurs en nombre, un positionnement géographique intéressant et un rayonnement suffisant », souligne Séverine Latour, chargée de projets à WBT/D (2). On notera donc que pour un un petit festival plus confidentiel, cette aide à la mobilité n’est pas encore disponible. Logiquement, les diffuseurs œuvrent en parallèle à une dynamique complémentaire : celle-ci tiendrait compte des réseaux créés à l’étranger, quand divers lieux, même plus modestes, s’unissent dans une même région pour accueillir la tournée d’un spectacle.
Incontournables moments
Comment s’imposer à l’échelon international, là où les propositions fortes abondent et où la concurrence est rude ? Parmi les plateformes qui comptent en France pour les compagnies bruxelloises, on notera bien sûr celle des Doms, partenaire de « Midi-Pyrénées fait son cirque en Avignon ! » lors du célèbre festival annuel. Mais les rendez-vous « qui comptent » sont légions chez nos voisins français. Rassemblés au sein de l’association Territoires de Cirque, les 11 pôles de cirque que compte le pays ont chacun leur festival. Parmi ceux-ci, CIRca, à Auch, dans le Gers, apparaît comme le rassemblement circassien incontournable en octobre, par la qualité des spectacles proposés, par le nombre de programmateurs de cirque qui y sont présents, de réunions, de rencontres, de colloques. Y être programmé, c’est souvent s’assurer une belle tournée. Comme pour Amaury Vandenborgh, de la compagnie Poivre Rose, qui estime que son spectacle a rencontré le succès parce qu’il était « au bon endroit, au bon moment ».
Le parcours d’Amaury témoigne en fait des multiples entrées possibles dans le réseau international. D’abord, un certain culot ! Décrocher son téléphone, Amaury n’en a pas peur. Comme, il y a quelques années, à la sortie de l’école, quand il contacte la Maison de la Culture de Tournai pour demander une résidence – qu’il obtient. Par ailleurs, plusieurs programmes européens consacrent d’importants moyens à la mobilité des artistes, comme « Circus Next / Jeunes Talents Cirque Europe ». Le Poivre Rose intégrera pour sa part le programme « Circus Work Ahead », dont les Halles font partie. Soit une réunion de lieux de programmation européens de quatre pays (Danemark, France, République Tchèque et Belgique), une sélection commune de spectacles et une diffusion de ceux-ci dans plusieurs de ces lieux – dont CIRca qui programmera donc le Poivre Rose.
Parallèle attitude
Les branches du réseau international sont nombreuses. D’un côté, aides institutionnelles, plateformes étatiques, festivals « poids lourds », où il faut jouer des réseaux qu’on se fait, au fil des rencontres, pour espérer les intégrer. D’un autre côté, les contacts humains, qui restent au premier plan, aussi. De ceux que tissent entre eux les programmateurs, se refilant leurs tuyaux. De ceux que tissent les lieux de programmation ou de soutien à la création avec les artistes. Et c’est de ces relations que des formes plus conviviales, qui n’entrent pas nécessairement dans les schémas « mastodontes », pourront s’épanouir.
On le voit, la diffusion est une histoire qui se réinvente sans cesse. Dans ce sens, Séverine Latour évoque l’éventualité de modèles de financement qui s’éloigneraient des circuits classiques, pour aller voir du côté du mécénat. Comme le monde de l’art, celui de la diffusion sait qu’il ne se développera qu’en s’appuyant sur une constante créativité.
(1) Wallonie-Bruxelles International (WBI) est l’agence chargée des relations internationales Wallonie-Bruxelles. Elle est l’instrument de la politique internationale menée par la Wallonie, la Fédération Wallonie-Bruxelles et la Commission communautaire française de la Région de Bruxelles-Capitale.
(2) Wallonie-Bruxelles Théâtre/Danse (WBT/D) est l’Agence officielle de promotion internationale des arts de la scène de la Fédération Wallonie-Bruxelles – pôle d’expertise à l’export.
Si près, zover
Parler de diffusion à l’international, c’est aussi un peu parler de diffusion… vers nos compatriotes du nord. Car pour une compagnie wallonne ou bruxelloise, s’exporter en Flandre n’est pas une mince affaire. D’abord, de chaque côté de la frontière linguistique, un système différent. En Flandre, le Circuscentrum est officiellement chargé d’accompagner, promouvoir et soutenir la diffusion du cirque flamand. En Belgique francophone, ce type de coupole n’existe pas – il n’y a donc pas un interlocuteur principal, mais de nombreuses initiatives, quelquefois soutenues par la Fédération Wallonie-Bruxelles. En outre, aucune trace de missions communautaires de rapprochement. Celui-ci s’organise dès lors de manière « officieuse », porté par des personnalités plus que par des décrets. Ce fut par exemple le cas, en décembre 2015 au Théâtre Marni, lors d’une rencontre nationale des acteurs du terrain, rassemblant programmateurs et artistes du nord et du sud du pays, sous l’impulsion d’Amelia Franck (en charge du cirque à la Fédération Wallonie-Bruxelles) et de Séverine Latour (WBD/T). Ou, en mars 2016, lors du Festival UP!, à l’occasion de la journée « Warm-Kisses » organisée à la Raffinerie par WBT/D, l’Espace Catastrophe et le Circuscentrum, faisant se rencontrer artistes belges et programmateurs internationaux.
Un coup de pouce institutionnel serait bienvenu. Le secteur culturel s’est vu tout récemment doter d’une enveloppe de 200.000 € pour des projets qui font le pont entre nos deux communautés. Peut-être y verra-t-on bientôt un projet cirque ?
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Isabelle Plumhans
Journaliste FreeLance, Isabelle Plumhans (d)écrit la mode et la culture. Par amour des mots, entre autres.