Nécessaire… et méconnu. Ainsi pourrait-on qualifier le métier de « diffuseur » de spectacles. La conscience monte de l’utilité d’une profession longtemps laissée dans l’ombre. En quoi consiste ce travail ? Trois « attachées de diff’ » nous dévoilent leur parcours et leur passion.
Le métier de diffuseur n’est pas neuf, mais il a du mal à être reconnu, alors qu’il est essentiel à la vie des spectacles. Un premier pas vers la reconnaissance « officielle » de la profession : le récent financement dégagé par la Fédération Wallonie- Bruxelles pour offrir un soutien accru à cinq agences de diffusion œuvrant dans les Arts de la scène (Mademoiselle Jeanne, Habemus Papam, La Chouette diffusion, Entropie Production et Arts Management Agency).
Pour mieux comprendre ce métier – souvent pratiqué au féminin –, nous avons rencontré trois professionnelles dont le terrain de diffusion est complémentaire : Marion Lesort, de La Chouette Diffusion, au service de plusieurs compagnies de cirque ; Flavia Ceglie, de l’Espace Catastrophe, attachée à un centre de création-production ; et Véronique Delwart, active auprès d’une compagnie unique, Carré Curieux. Où l’on découvre trois approches… et une même passion.
Marion Lesort, médiation passion
Études d’action culturelle en milieu associatif et collectivité locale, à Clermont-Ferrand
Chargée de diffusion à la Chouette Diffusion dont elle est co-fondatrice avec Cécile Imbernon
Marion, c’est la douceur organisée. Quand on la rencontre, à deux pas des Tanneurs où elle a ses bureaux, on perçoit la main de fer dans le gant de velours. Et la passion ! Pourtant, quand elle est venue de France, par amour, en Belgique, diplôme d’action culturelle en poche, et premier emploi de médiatrice culturelle derrière elle, elle s’est engagée à contrecœur dans la profession. Faute de trouver autre chose, elle épaule une amie, diffuseuse, qui a trop de boulot. Mais elle se prend au jeu : elle crée même sa structure, La Chouette diffusion. Car elle se rend compte que « chargée de diff’ », ce n’est pas ce job ingrat, celui qu’on accepte quand on n’a plus le choix, mais un métier dans la droite ligne de celui de médiatrice. « Je tisse du lien. Je fais se rencontrer un projet artistique et un programmateur, un public. » Et elle soigne l’ADN de sa Chouette. « Nous choisissons les spectacles selon une ligne claire. Ils doivent être cohérents avec cette ligne. Deux spectacles de notre catalogue ne peuvent pas se faire concurrence. Il faut un vrai coup de cœur artistique de notre part et une rencontre humaine ; on va entrer dans une certaine intimité de l’artiste. Il va devoir nous faire confiance. » Pour mener à bien son travail de diffusion, les bons outils quotidiens sont essentiels. « Une fois qu’on les a trouvés, ça va tout seul. » Ce sont les nombreux tableaux Excel, mais aussi un logiciel spécifique– créé par Marion dans un premier temps, acheté désormais. Logiciel qui automatise certaines actions (relance, payement,…) et met en commun des données (base de contacts, agenda des artistes, des lieux, des festivals,…). Enfin, Marion est catégorique : pour une bonne diffusion, il faut une production irréprochable. Si les partenariats noués en amont de la période de diffusion sont mauvais – voire, encore souvent, inexistants –, pas de tournée envisageable… ou difficilement. D’ailleurs, depuis peu, Marion se charge de production. Une nouvelle casquette pour la jeune femme, prise toute entière et encore un peu plus par ses spectacles et son métier de passeuse.
Flavia Ceglie, mutualisation gagnante
Études de Lettres en Italie, master en Arts du Spectacle Vivant à l’ULB
Chargée de Diffusion à l’Espace Catastrophe
Flavia Ceglie, c’est l’énergie italienne et la passion des mots ! Après des études à Bologne, elle s’envole pour un Erasmus en France. Elle travaille ensuite comme assistante en langue italienne à Auch, découvre l’univers (forcément circassien) du festival CIRca (voir page suivante). Elle y sera bénévole en 2004. Ce contact influence son parcours. Elle se réoriente vers le spectacle vivant, avec le nouveau master en Arts du Spectacle Vivant de l’ULB. La suite ? Stages en assistanat à la mise en scène et emplois au service de compagnies, dont celle de la chorégraphe Maria Clara Villa-Lobos, avec qui elle collabore toujours. Et depuis 2013, Flavia travaille comme chargée de diffusion à l’Espace Catastrophe. Un métier qu’il ne faut pas limiter à la vente de spectacles. « Il s’agit d’accompagner intimement un projet. Pour bien diffuser, il faut être là dès le début de la création. Etre œil extérieur, ‘psy’ de l’artiste, gestionnaire administratif des tournées. Pour s’approprier le projet, le comprendre au mieux. C’est comme ça qu’on pourra bien le vendre. » Et d’enchaîner : « Notre rôle est important. Aujourd’hui, plus qu’hier, il y a une vraie compétition dans le domaine. Il faut développer des stratégies pour se démarquer. C’est un métier complexe, multiple, mais passionnant. ». Avec des impératifs d’anticipation, comme établir la bonne date pour la première d’un spectacle, par exemple. Et la prise de risque qui va avec : le spectacle sera-t-il prêt ? Le public et, surtout, les programmateurs, seront-ils au rendez-vous ? Toutefois, comme le souligne Flavia, à l’Espace Catastrophe, le travail en équipe est un appui essentiel. « Je peux toujours consulter une personne ressource, que ce soit le directeur administratif pour des questions de budgets ou de production, la chargée de comm’ pour une question axée communication, la directrice artistique sur un sujet plus créatif… Au contraire d’une chargée de diffusion qui n’a pas de structure derrière elle et qui aura toutes ces casquettes et la prise de risque en son seul chef ! » Reste un défi majeur : celui des finances. Les moyens suffisants manquent, encore et toujours, pour dépasser le système de la débrouille et des coupes dans les budgets de tournée.
Véronique Delwart, risque gagnant
Études de relations publiques à l’IHECS
Chargée de diffusion de la compagnie Carré Curieux
Diplôme en poche, Véronique est engagée chez Blue Lemon, agence artistique de l’Ecole de cirque de Bruxelles ; elle y rencontre des artistes géniaux… et ignorants en comm’, ce qui l’encourage à devenir diffuseuse indépendante. Une période financièrement difficile. Payée au pourcentage, elle est précaire. Elle pense arrêter quand la compagnie Carré Curieux la contacte. « On s’est rencontré. Et ça s’est très bien passé ! » Tellement bien que, depuis six ans, Véronique est leur chargée de diffusion, celle qui pense « au-delà de la vente, aux aspects pratico-pratiques du spectacle et de la tournée, repas ou temps de repos sur la route ». Mais rien, dit-elle, ne remplace le contact direct entre artiste et programmateur. « Cette rencontre vaut de l’or ; il faut pouvoir se mettre en retrait pour qu’elle puisse se faire. » Le challenge du métier ? « La profession n’est pas suffisamment reconnue. Être payé au pourcentage, c’est difficile. Notre équilibre repose sur le succès du spectacle. Et sur les artistes. Un accident, donc une annulation, et c’est le double de travail pour un chargé de diffusion. Et pas de rétribution au final. » La jeune femme pointe aussi la nécessité d’une formation « pour fournir les outils et réflexes à ceux qui voudraient se lancer dans la diffusion ». Car la méthode est parfois anarchique. « Trop de jeunes diffuseurs débutent en envoyant des mails à 500 programmateurs… C’est contre-productif. Il faut privilégier le contact de personne à personne, c’est l’axe de nos métiers ». Internet a transformé la profession : aujourd’hui, les programmateurs ont déjà l’information. Il s’agit d’établir un autre lien. « Nous avons un rôle de contact, puis de relance. Partir en festival, par exemple, est essentiel. Mais parfois frustrant ! L’ébullition est telle qu’après coup, on reçoit parfois un mail d’un programmateur présent qui n’a pu nous y croiser faute de temps… ». Un métier dur ? Sans aucun doute. Sa plus belle réussite, Véronique estime d’ailleurs que c’est d’être depuis huit ans dans la profession, là où ils sont nombreux à arrêter bien avant. Un « dinosaure », somme toute. Mais avec l’enthousiasme du débutant !
Le numéro… pour un autre numéro
À côté des spectacles, de nombreux circassiens tournent avec un ou plusieurs numéros (courtes formes autonomes de quelques minutes). La production plus légère et la diffusion en cabarets notamment rendent la gestion d’un numéro très différente de celle d’un spectacle, sujet qui est celui de notre dossier. Le sujet du « numéro », ce sera… pour un autre numéro !
Suivez les pistes… ou inventez-les
Petite liste pas du tout exhaustive des sources de moyens financiers pour monter une production.
Crowdfunding (légèrement usé)
Coproduction belge (possible)
Coproduction étrangère (si coproduction belge)
Préventes du spectacle (ardu)
Aides Publiques ponctuelles : Aide à la création, à la reprise ; Bourse
Aides Publiques récurrentes : Contrat-Programme (rare, mais tout va être revu pour le 1er janvier 2018)
Rien (rare)
Pourcentage gardé sur la vente du spectacle (courageux)
Mécène (exceptionnellement rare)
Apports de la compagnie ou des artistes individuellement (malheureusement encore trop courant)
Aides logistiques ou aides aux déplacements (Bureau International Jeunesse (BIJ) – Entrechok ; Wallonie-Bruxelles International, etc.)
Tax shelter pour les Arts de la scène (depuis le 1er janvier)
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L'auteur.e de l'article
Isabelle Plumhans
Journaliste FreeLance, Isabelle Plumhans (d)écrit la mode et la culture. Par amour des mots, entre autres.