Les moyens de ses idées

Jan/Fév/Mars 2017

Créer un spectacle de cirque implique une recherche opiniâtre de moyens. S’il n’existe pas de recette miracle pour parvenir à ses fins, le but est commun à tous les projets : trouver du temps, de l’espace, une équipe et des ressources financières. Le fil d’Ariane dans ce montage de production ? L’acharnement.

Tout commence généralement sous la douche, puis se cultive dans la file à la caisse du supermarché : une idée. Une idée géniale de spectacle ! Une idée qui se tricote dans la caboche. Comment ensuite lui donner forme ? Avec quels moyens ? Quelle équipe ? Où travailler, chercher, répéter ? Comment acheter le matériel nécessaire ? Cette vaste, courageuse, opiniâtre et passionnée recherche de moyens s’appelle le « montage de production ». Comment le définir ? « C’est la recherche de toutes les choses pratiques qui ne sont pas directement artistiques mais qui permettront que ton projet puisse se faire », répond Bram Dobbelaere (Compagnie EAEO, Cirque Démocratique de la Belgique), l’un des interlocuteurs qui nous a éclairé sur un sujet bien nécessaire, puisque la production permet ni plus ni moins aux belles idées stratosphériques de se transformer en réalité.

Comment assure-t-on aujourd’hui un montage de production en vue de créer un spectacle de cirque ? « La production est un temps fort qui est constitutif de tout projet », rappelle Quintijn Ketels, de la Compagnie Side-Show. « Pour moi, il s’agit de répondre à trois questions fondamentales. Premièrement : qu’est-ce que je veux faire ? Deuxièmement : quels sont les moyens qui me sont nécessaires pour y arriver ? Troisièmement : comment trouver ces moyens ? ». Contrairement au travail de création d’un peintre (par exemple), les arts vivants impliquent davantage une dimension humaine : très vite, il faut des partenaires et des lieux de travail. Quelle que soit l’idée première, le créateur ou la compagnie créatrice aura besoin d’une équipe (interprètes ou coauteurs, mais aussi scénographe, metteur en scène, regards extérieurs,…) de temps, d’espace(s), et – évidemment – de ressources financières.

En cirque, le travail commence souvent par la constitution de l’équipe. « Dès que je sors de la douche avec mon idée et que j’appelle les ‘usuals suspects’, mes partenaires de la compagnie, le montage de production est lancé ! », rit Bram Dobbelaere. Le temps de recherche est souvent plus important en cirque qu’en théâtre, puisqu’il s’agit de travailler son propre vocabulaire physique, de découvrir des figures ou des agrès novateurs, de partir du vide pour arriver au plein du sens… « On a besoin de 3 ans pour créer un spectacle », calculent Sicaire Durieux et Sandrine Heyraud, de la Compagnie Chaliwaté. Pour explorer ce « temps », la réponse vient… de l’« espace » : de nombreux lieux, opérateurs ou partenaires proposent ou acceptent des résidences – sur dossier ou par des biais plus informels. « Selon ton projet – chapiteau, rue, salle,… –, tu construis un réseau de partenaires spécifiques. Il ne faut pas se leurrer, les choses prennent du temps. Tu dois t’accrocher, savoir ce que tu veux, apprendre à te débrouiller par toi-même », estime Quintijn Ketels. « Quand ça roule, c’est magnifique. Et pour ma part, quand une porte se ferme, ça me donne un moteur pour aller plus loin : inventer d’autres chemins… ou revenir plus tard par la fenêtre du deuxième étage ! »

Grâce à des démarches combinant remise de dossier et rencontres, l’équipe se forge une première plateforme de travail : des lieux où travailler, un soutien éventuel à la gestion par certains partenaires, des premiers contacts pour présenter le spectacle dans le futur… Mais l’huile de coude ne peut pas suffire en tout. Le montage de production, c’est aussi trouver des moyens financiers, c’est-à-dire d’éventuels coproducteurs du spectacle. Un énorme défi en Fédération Wallonie-Bruxelles, puisque les moyens alloués à la création circassienne sont très réduits. « Les résidences et les partenariats se développent, ce qui est très positif pour les compagnies. Mais le besoin en argent n’en est pas moins essentiel, et c’est là que le bât blesse souvent », observe Quintijn Ketels. Aller frapper à la porte d’un partenaire étranger ? C’est possible bien sûr, mais ces lieux travaillent eux-mêmes prioritairement avec les artistes de leur territoire… et demandent d’abord que les compagnies étrangères trouvent leurs propres moyens. La quadrature du cercle n’est pas impossible, c’est avant tout une question de réseau et d’un autre ingrédient : l’acharnement.

Faire les premières réunions, lancer la recherche artistique, contacter des lieux pour obtenir des résidences, réunir les équipes, trouver d’éventuels coproducteurs,… Pour les compagnies (la plupart) qui n’ont pas de subvention récurrente, ce travail titanesque n’est quasiment pas rémunéré et il est chronophage. Comme l’on constate une professionnalisation de l’ensemble du secteur, de même qu’un déploiement des possibilités de partenariats, ne serait-il pas logique que le métier d’« attaché de production » se développe ? « Pour le moment, les compagnies de taille modeste ou moyenne n’ont pas les moyens de payer ce poste, alors que les plus importantes institutions culturelles en disposent, parce que c’est un besoin évident », répond Bram Dobbelaere. « Toutefois, je pense qu’on aime bien avoir la main sur nos choix, mener nous-mêmes nos contacts avec les partenaires. J’imagine mal dire : ‘Pour cette résidence, voyez avec Steve’ ! La débrouille est dans l’ADN du cirque ».

L’avenir, sans aucun doute, est à un panachage de soutien et d’indépendance.

La production à la force du poignet

Olivier Melis, ferronnier, sait plier le métal à sa volonté. Visiblement, il sait aussi forger son chemin de production à la force du poignet. Pour créer Clinamen, son solo de mât chinois, il a « un peu fait les choses à l’envers, pour peu qu’elles aient un sens », sourit-t-il. D’abord régisseur et « homme à tout faire » auprès des Baladins du Miroir, il attrape le virus du cirque en travaillant comme technicien avec la compagnie Circ’Ombelico dès 2011. Le mât l’attire : il se forme ensuite librement auprès de Foucauld Falguerolles et crée le duo On-Off avec Violaine Bishop, de Lady Cocktail. Pour Clinamen, il porte tout à bout de bras, forge son matériel, se crée du temps, trouve des espaces de répétition ou de création et découvre les vertus d’un réseau. « Ce sont les rencontres qui me portent », lance-t-il. « Je suis assez indépendant et je voulais tout faire tout seul comme un têtu, mais ça a ses limites ! » Bravant son anonymat circassien, Olivier décroche son téléphone, obtient la confiance de partenaires reconnus, invente des solutions alternatives, comme une résidence artistique dans la salle inoccupée d’une école. Apothéose (qui n’est qu’un début) : il crée Clinamen au festival Les Tanneurs d’Ecaussines, en octobre 2016. Pour peaufiner son spectacle puis le tourner, il espère à présent obtenir une aide à la création de la Fédération Wallonie-Bruxelles et cherche un attaché de diffusion. Retour à plus de sagesse ? « Je ne suis pas antisystème », corrige Olivier. « Je veux être cartésien : je devais d’abord me faire connaître ».

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L'auteur.e de l'article

Laurent Ancion

Laurent Ancion est rédacteur en chef du magazine « C!RQ en Capitale ». Critique théâtral au journal « Le Soir » jusqu'en 2007, il poursuit sa passion des arts de la scène en écrivant des livres de recherche volontiers ludiques et toniques. Il est également conférencier en Histoire des Spectacles au Conservatoire de Mons et musicien.