Cirques aux espoirs

Jan/Fév/Mars 2018

Que peut le cirque face à la situation des migrants ? Outre son travail hors Europe, dans des camps de réfugiés, Clowns sans Frontières agit aussi en Belgique, dans certains centres d’asile. L’association croit à la force du lien et de l’échange. Une conviction que partage aussi le Chapiteau Raj’ganawak à Paris.

En octobre dernier, la cérémonie des Prix de la Critique a vibré avec l’hommage de la comédienne Marie-Aurore D’Awans aux bénévoles du Parc Maximilien à Bruxelles. Après ce plaidoyer, une partie du monde du spectacle s’est mobilisée pour proposer logis, vêtements et repas aux migrants qui y sont présents (1). Le cirque n’a pas attendu cet appel pour s’attaquer à la cause, avec ses armes. Nez rouge, magie, langage des corps et capacité d’émerveillement, les circassiens agissent depuis longtemps. « Le rire est la plus courte distance entre deux personnes », annonce d’ailleurs le site internet de l’asbl « Clowns Sans Frontières Belgique / Clowns Zonder Grenzen België ». « Au départ, l’association jouait essentiellement dans des camps de réfugiés hors Europe », nous explique Jacques Lecarte, membre de l’asbl et clown-animateur. « On se produit principalement devant des enfants, pour faire oublier l’ennui et le stress de l’attente et des journées vides. On travaille avec les ONG sur place, comme Médecins Sans Frontières par exemple : les équipes médicales profitent du rassemblement créé par le spectacle pour vérifier la santé du public. » Avec l’arrivée massive de migrants en Belgique, l’association a décidé d’également mener son action ici, en proposant des spectacles dans les centres Croix-Rouge et Fedasil. L’idée est identique : essayer de faire oublier la peur et l’ennui, tenter de donner un sentiment de reconnaissance à l’enfant migrant et à ses parents. « À l’étranger comme en Belgique, on joue d’abord pour les enfants… puis les mères arrivent pour voir ce qui se passe. Et elles amènent les pères, les hommes. C’est par les femmes que tout va changer ! », s’exclame Jacques Lecarte. Tout juste revenu du Liban lors de notre rencontre en novembre, il s’apprêtait à jouer dans un centre Croix-Rouge en Belgique.

 

Rires et rêves et réels

Outre ces spectacles donnés à la demande des centres en Belgique, l’asbl a depuis peu une seconde activé sur notre territoire. C’est la « Caravane des rêves » : des ateliers ponctuels soutenus par la Cocof et destinés à un public mixte de jeunes belges et réfugiés. Loin de la simple animation, cette caravane souhaite créer un lien entre des populations amenées à se côtoyer au quotidien. Car, en Belgique ou beaucoup plus loin, c’est bien l’enjeu : donner, grâce au levier du cirque, à sa capacité à émerveiller, un autre statut à des personnes en errance, puis créer une cohésion au sein d’une population de plus en plus mixte. « C’est vrai, le cirque a quelque chose de magique. Quand un clown essaie de soulever des haltères sans y arriver et qu’un enfant du public y parvient, quand des jeunes femmes voilées font du hula hoop, c’est la perception d’eux-mêmes qui change », rapporte Jacques. Et quand, côte à côte, des jeunes Belges partagent les mêmes défis d’équilibre avec de jeunes Syriens, les nationalités n’ont vraiment plus d’importance, ni même les mots ; c’est le regard des uns sur les autres qui se transforme. Le cirque rend soudain à chacun sa juste place. Celle d’humains, dans le monde incertain et vacillant qui est le nôtre.

 

(1) Pour en savoir plus sur cette mobilisation : Facebook <Groupe hébergement plateforme citoyenne>

Pour exprimer haut et fort leur soutien aux populations civiles en danger un peu partout dans le monde, victimes de violences ou de toute autre forme de mise en danger, de nombreux partenaires du secteur culturel belge ont créé une charte éthique et le label United Stages. Ils mènent ensemble des actions concrètes, que le public est invité à son tour à rejoindre. Facebook <United Stages>.

 

Toutes les infos sur Clowns Sans Frontières sur www.cmsf.be

 

 

La belle histoire du chapiteau Raj’ganawak

L’histoire commence en ’98, en banlieue parisienne. Un décorateur de cinéma et de théâtre récupère des débris de bois sur un chantier. Unissant ses forces à celle de ses amis, il décide de construire un chapiteau sur un terrain abandonné face à la gare de Saint-Denis. Après une première vie de représentations théâtrales, le lieu est abandonné… C’est alors que Camille Brisson, dite « Camo », entre en scène : la jeune femme, filleule de l’habile décorateur, rêve de cirque mais a été refusée par les écoles. Elle installe une caravane sur le site et retape le chapiteau pour en faire un endroit de rencontre pour les populations qui vivent dans le quartier, dans des logements qui tiennent du bidonville. Des cabarets et des scènes partagées y sont organisés toutes les semaines. Le lien se tisse notamment entre les populations Roms et la petite équipe de ce chapiteau, rebaptisé Raj’ganawak (garage n’importe quoi, en pseudo-verlan).

L’endroit fonctionne hors du circuit officiel, mais le bouche à oreille marche et le public de Paris et des alentours afflue. En 2010, Saint-Denis vit l’expulsion d’un de ses bidonvilles, qui entraîne la perte du lieu. Camo et ses amis se mobilisent pour le relogement de ses habitants. Une fois relogés, les Roms proposent à Camo et son équipe de créer un nouveau chapiteau au milieu du quartier de fortune. « C’était pertinent », nous confie Camo aujourd’hui. « On était sur place, pour travailler avec les jeunes. Le lieu était tour à tour endroit de réunions, église pour certains événements, place où s’occuper après l’école,… » L’expérience est passionnante… et éreintante. Camo a en outre accepté d’être famille d’accueil pour deux jeunes : elle abandonne le projet pendant trois ans pour se consacrer à cette nouvelle vie. Mais quelques années plus tard, le terrain d’origine de son parrain est de nouveau libre. Elle le réinvestit, y reconstruit le chapiteau des débuts, plus grand. Depuis huit mois, des cabarets s’y donnent de nouveau, ainsi que des cours du soir (danse, chant, boxe, yoga, cirque…) et des ateliers d’apprentissage du français pour la population d’enfants non scolarisés squattant l’immeuble tout à côté. Ces ateliers sont un pas vers leur scolarisation.

Quand on demande à Camo si cette aventure d’intégration et de lien par le cirque relève du tour de force, sa réponse est simple : « Il faut juste un espace et quelques personnes qui se mobilisent et n’ont pas peur de pousser les portes. Il ne faut pas de compétences spécifiques en formation au français, par exemple. Tout part de l’envie de créer du lien pour aller plus loin. Se proposer écrivain public pour aider les parents, faire rire, partager un cake : tout est prétexte à entrer en contact, même à petite échelle. Évidemment, le cirque possède cette pluralité de formes qui permet une approche multiple et émerveillée. Mais tout le monde peut apporter sa pierre. » En Belgique, à Bruxelles, il y a aussi des enfants et des parents qui doivent sortir de la solitude migratoire. Une ficelle, un sourire et beaucoup de belle volonté peuvent y aider. L’appel est lancé… I.P.

 

Infos sur le Chapiteau Raj’gaNawak : Facebook <Chapiteau Raj’ganawak>

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L'auteur.e de l'article

Isabelle Plumhans

Journaliste FreeLance, Isabelle Plumhans (d)écrit la mode et la culture. Par amour des mots, entre autres.