MÉMOIRE(S) Par la Compagnie du Poivre Rose

Jan/Fév/Mars 2018

Il y a de l’excitation dans l’air quand commence Mémoire(s) de la Compagnie du Poivre Rose. Les artistes invitent quelques spectateurs en scène pour une photo. Clic, une image qui bientôt s’efface. Dans son deuxième spectacle (après Le Poivre Rose, en 2014), le collectif bruxellois explore la mémoire, ce no man’s land de souvenirs cotonneux. Et il remonte avec brio la route sinueuse de l’oubli et des souvenirs en s’aidant de rassurantes béquilles : des photos, quelques vêtements pendus sur un cintre, une chanson qu’on a entendue dans une autre vie.

Ils sont cinq sur scène, acrobates, mais aussi comédiens accomplis. Ils nous proposent une suite de tableaux drôles ou émouvants centrés sur des personnages surgis de l’histoire : une diva à barbe, un couple de danseurs de salon, un émigré russe, un crooner de cabaret ou un cowboy à la gâchette facile. On est souvent dans le burlesque de situation. La réalité dérape ? Ils restent imperturbables. Au moment où on ne l’attendait pas, une corde, un trapèze, dégringolent des hauteurs pour un numéro court mais physiquement intense. Sur le côté de la scène, Antoinette Chaudron incarne une étrange laborantine, toute de noir vêtue, comme sortie d’un polar fantastique italien des années 60. Avec rigueur et méthode, elle manipule les images et les photos qu’elle s’ingénie, tout au long du spectacle, à faire disparaître suivant un procédé à chaque fois différent et poétique. Les références au cinéma, paradis perdu de la mémoire, sont nombreuses dans la diva alanguie et le comédien de stand-up au costume bleu électrique de Amaury Vanderborght. La mémoire a inventé le zapping aux carambolages improbables, comme ceux de Marine Fourteau et Marcel Vidal Castells quand ils passent d’un duo de danse à une dispute de couple dans un hilarant lipping d’un classique hollywoodien. Le rythme, déjà soutenu, s’accélère avec un Thomas Dechaufour qui ne lâche pas son six-coups, même en haut du mât chinois.

Puis arrive le final acrobatique, apothéose où les cinq partenaires se retrouvent sur un cadre coréen dans des nuages de talc. Les saltos coupent le souffle et Johnny s’égosille sur son Poème sur la 7e. Il hurle : Vous êtes sûrs que la photo n’est pas truquée, vous pouvez m’assurer que tout cela a vraiment existé ? Je vous l’assure. C’était beau, ce n’était pas truqué. Et dans la mémoire, les images restent gravées.

 

-> Vu le 27/10/2017 au Festival CIRCa à Auch (F).

Les 9 et 10/01 à la Maison de la Culture de Tournai, www. maisonculturetournai.com ; les 13 et 14/03 aux Halles de Schaerbeek, dans le cadre du Festival UP!, www.upfestival.be

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L'auteur.e de l'article

Gilles Bechet

Giles Bechet est journaliste freelance. Curieux de tout, il aime se perdre dans la culture, celle qui pousse en salle, sous chapiteau et dans les terrains en friche. Pour y rencontrer toutes sortes de gens, des gens qui voient, qui ont vu et qui font voir. Ou qui ne font rien du tout et le font bien.