Voilà bien un spectacle que Michel Polnareff n’aurait jamais mis en scène (hélas), lui qui déclarait en 2014 : « Oui, le cheminement artistique est parfois difficile. Mais on est comme les trapézistes du Cirque d’Hiver : on n’est pas là pour montrer qu’on a transpiré pendant des heures, on est là pour montrer que c’est facile. » Gaël Santisteva, ancien acrobate à la balançoire russe, jeune quarantenaire aujourd’hui féru de danse, a opté pour le postulat exactement inverse. En rêvant sa vraie-fausse conférence titrée Talk Show, il a voulu un spectacle quasiment sans acte de cirque, qui œuvre à dévoiler tout ce qui forme l’envers du décor d’une vie professionnelle. Et n’en déplaise à notre ami Polnareff, le résultat est génial.
Audacieux, joyeusement impertinent, Gaël Santisteva a eu « envie d’ouvrir une brèche dans le cirque performatif », comme il l’expliquait dans nos colonnes (1). À la façon d’un vrai talk show, tandis qu’il prend place en bord de scène d’où il assure une part de la régie et le jeu de l’intervieweur, il assied quatre témoins de choix sur des chaises banales et les armes d’un micro. Tout fait farine au moulin de ses questions, parfois piochées dans le hasard d’un sachet : usure, blessure, égo, entraînements, passion, ras-le-bol et même – la chaleur monte – sexe et drogue et rock’n’roll.
Le principe pourrait sembler trop simple ? C’est une trouvaille. Car à la façon d’un catalyseur, il dévoile de (très) près les cinglantes personnalités d’un quatuor hors pair : Mélissa Von Vépy, Angela Laurier, Julien Fournier et Ali Thabet, circassiens pas nés de la dernière pluie, se jettent dans l’aventure avec ce qui ressemble à un vrai talent d’impro (malgré le solide travail en amont du quintette). Sans esbroufe ni paillettes, mais avec de drôles de costumes dont on comprendra l’usage en cours de route, ils nous offrent un point de vue original, généreux et parfaitement furieux sur leur métier. Est-il usant ? « Evidemment », répond l’équipe, avec plein d’exemples indubitables. Les aptitudes physiques ont-elles un effet psychique ? « En bien comme en mal ». « Il n’y a plus d’animaux dans le cirque contemporain. Les bêtes, c’est nous autres ! », pourfend Angela Laurier (avec son irrésistible accent québécois). Au final, dans un échange scène-salle intégré au spectacle ou dans une myriade d’instants bouleversants, c’est bien sûr l’amour du cirque qui saute aux yeux, de même qu’une interrogation finalement universelle sur notre temps humain, si humain.
(1) Lire « C!RQ en CAPITALE » n°13.
-> Vu le 20/10 aux Halles de Schaerbeek, à Bruxelles.
En tournée.
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L'auteur.e de l'article
Laurent Ancion
Laurent Ancion est rédacteur en chef du magazine « C!RQ en Capitale ». Critique théâtral au journal « Le Soir » jusqu'en 2007, il poursuit sa passion des arts de la scène en écrivant des livres de recherche volontiers ludiques et toniques. Il est également conférencier en Histoire des Spectacles au Conservatoire de Mons et musicien.