Jessika, le cirque qui libère

Jan/Fév/Mars 2018

Une école de cirque en Palestine ? N’y a-t-il pas d’autres urgences ? Pendant plus de dix ans, la Belge Jessika Devlieghere a participé à cette aventure collective qui a changé le quotidien de milliers de jeunes, ainsi que le regard sur ces territoires privés de liberté et d’autonomie.

De retour depuis quelques mois en Belgique, après 13 années passées en Palestine, Jessika Devlieghere a encore un peu de mal à retrouver ses repères. La co-fondatrice de l’Ecole Palestinienne de Cirque est revenue au pays pour son fils de huit ans. À long terme, difficile de répondre aux inquiétudes que suscitent chez un jeune enfant la sombre réalité de l’occupation. Ce départ à regret peut avoir des conséquences constructives. « À un moment, il faut pouvoir lâcher l’équipe pour lui laisser prendre son autonomie, même si j’aurais aimé rester plus longtemps pour assurer la transition. »

Comme toutes les belles histoires, celle-ci est née des rencontres et des hasards de la vie. Bouleversée par un voyage en Amérique latine à 17 ans et par l’injustice dont elle est témoin, Jessika s’engage dans des études d’assistante sociale. En 2000, à l’occasion d’un camp d’été au Liban, elle propose des ateliers de cirque aux enfants libanais et palestiniens qu’elle encadrait, avec un spectacle à la clé. L’impact qu’elle observe sur ces jeunes déracinés la convainc des vertus émancipatrices des disciplines circassiennes. Sa décision est prise : elle créera une école de cirque en Palestine, ancrée dans la société et au service des populations locales. « J’avais une vision sur le travail des organisations dans le sud et 12 années d’expérience dans les partenariats internationaux. » Elle trouve le partenaire idéal en Shadi Zmorrod, passionné de cirque et prof de théâtre à Jérusalem Est. En dépit des soutiens et des encouragements venus de toutes parts, les débuts n’ont pas été faciles. « On n’avait pas de bureau. On faisait les réunions chez moi. Après trois ans, on s’est installé dans les sous-sols d’une école de Ramallah. Il nous fallait un espace pour que les gens puissent passer la porte, sans crainte. » On était en 2006, il y avait la guerre au Liban. C’était le règne de la débrouille. Des massues de jonglage étaient fabriquées avec des brosses de toilette, des échasses à partir de déchets de menuiserie. Après 5 ans et demi d’efforts et d’engagement, Jessika et Shadi peuvent, grâce à la coopération belge, réaménager une ancienne maison qui a servi d’infrastructure sportive à l’Université de BirZeit. Ils installent leur chapiteau sur l’ancien terrain de basket. Toujours en fragile équilibre, l’école est lancée.

L’École Palestinienne de Cirque, c’est aujourd’hui 250 à 300 élèves par an – et des milliers de spectateurs secoués par des spectacles qui évoquent la situation quotidienne ou qui offrent simplement un moment de joie, d’entente, de beauté. « En Palestine, j’ai compris le rôle que le cirque peut jouer. Avec les histoires qu’on construit, on contribue à donner une autre image des jeunes Palestiniens. Et on leur permet de rêver. On leur donne des accroches dans la vie, un espoir de grandir. »

Depuis que Jessika est revenue en Belgique, la Palestine lui manque pour la solidarité, le partage et l’accueil qui y rayonnent. Et quand elle était là-bas, c’était la sensation de liberté et la nature qui lui manquaient. « La première chose que je faisais à mon retour ici, c’était d’enfiler mes bottines pour aller marcher en forêt. Souvent je pleurais. Il faut dire que je suis émotive ! » Son avenir est encore dans le flou. Elle va accompagner l’École Palestinienne de Cirque dans un projet avec Circus zonder Handen (l’école de cirque néerlandophone de Bruxelles) et organiser la prochaine tournée de l’école en Europe. Elle va aussi soutenir l’équipe pour préparer le deuxième festival de cirque en Palestine. Et ensuite ? « Un jour, je vais devoir couper le cordon et ça me fait déjà mal. Mais je resterai toujours disponible. »

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L'auteur.e de l'article

Gilles Bechet

Giles Bechet est journaliste freelance. Curieux de tout, il aime se perdre dans la culture, celle qui pousse en salle, sous chapiteau et dans les terrains en friche. Pour y rencontrer toutes sortes de gens, des gens qui voient, qui ont vu et qui font voir. Ou qui ne font rien du tout et le font bien.