Exodos Par Unités/Nomade

Jan/Fév/Mars 2018

Le poing levé, sur une scène encore vide, le circassien Kritonas Anastasopoulos et la danseuse Maja Zimmerlin calent leur regard dans le nôtre : c’est très clairement une révolution que le jeune duo semble vouloir entamer, le menton haut, tandis qu’à nos oreilles parvient la bande son de manifestations populaires. Cette révolution sera-t-elle politique, artistique, poétique ? Loin de vouloir choisir, Exodos va mélanger, malaxer presque, ces différentes possibilités, pour un résultat parfois déroutant, qui allie sans un mot les images d’une grande lisibilité (le poing levé) et les constructions beaucoup plus intuitives, voire primitives, puisque les corps vont notamment se confronter à la pierre, à la terre ou au sable, touchant à l’abstraction.

Il y a de l’actualité et du mythe dans cet Exodos, rêvé dès le départ avec le metteur en scène Michel Bernard. Touchés au cœur par les insurrections qui tentent de changer le cours des choses en Europe et à travers le monde, le trio a voulu inscrire physiquement la question qui le taraude : comment sortir d’une crise ? Le mouvement des peuples rejoint ici le mouvement des corps, également inspirés par des récits anciens (le mythe de Deuclion et Pyrrha, où un homme et une femme voient leur descendance naître des pierres qu’ils jettent). De l’image claire et nette du début, quasi documentaire, on passera ainsi à des jeux qui évoquent les premiers temps de la terre. La scène comme les corps se couvre d’éléments naturels (tourbe, poussière blanche, sable) et le rythme se fait plus lent, voire languissant, passant de la convulsion des corps à un jeu d’équilibre, à une marche sur des pierres ou à leur empilement éphémère (« rock balancing »).

Si toutes ces louables intentions nous égarent parfois en cours de route, la plus belle des révolutions est sans doute ailleurs : dans le parcours des interprètes eux-mêmes. Kritonas, naguère roi de la bascule (avec Acrobarouf ou au Cirque du Soleil), et Maja, formée en danse au Conservatoire d’Anvers, osent remettre en question leurs acquis, leurs appuis. Comment la fluidité de la danse contemporaine peut-elle inspirer la tonicité du cirque (et inversement) ? D’un point de vue technique, il est intéressant de voir comment un même mouvement se déploie différemment selon l’entraînement initialement reçu. Mêlant avec cœur une foule de genres (Taï Chi, un zeste de hip hop, acrobaties fugaces, danse bien sûr), le duo s’ouvre des perspectives qui annonce de beaux lendemains.

-> Vu le 14/11 au Théâtre Marni, à Ixelles.

En tournée.

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L'auteur.e de l'article

Laurent Ancion

Laurent Ancion est rédacteur en chef du magazine « C!RQ en Capitale ». Critique théâtral au journal « Le Soir » jusqu'en 2007, il poursuit sa passion des arts de la scène en écrivant des livres de recherche volontiers ludiques et toniques. Il est également conférencier en Histoire des Spectacles au Conservatoire de Mons et musicien.