Devenir mère

Jan/Fév/Mars 2018

Tonicité, endurance, dépassement de soi : le corps de la circassienne est son outil de travail. Comment vit-elle une grossesse ? Peut-on continuer l’entraînement ? Après l’accouchement, ça se passe comment ? Vanina Fandino et Eleonora Gimenez sont toutes deux devenues maman pendant la préparation de leur spectacle Lugar.

Tout un gymkhana déjà pour arriver au premier étage de cette maison coquette saint-gilloise, à deux pas de la Gare du Midi. Entre la poussette et le caddie, la rééducation post-partum commence dès l’entrée ! Mais l’effort en vaut la chandelle. Une belle lumière d’hiver éclaire les lieux, des fauteuils à taille d’enfant donnent envie de s’y glisser, un espalier invite à s’étirer.

Née à Rosario en Argentine, voici trente-neuf ans, Vanina Fandiño a migré vers l’Europe, en 2002, pour trouver une école de cirque, ou de danse, elle hésite encore à l’époque, à sa mesure. Ce sera le Lido à Toulouse où elle apprend à manier l’équilibre pour devenir fildefériste. De la Ville Rose, il ne lui restait qu’un petit pas à franchir pour arriver à Bruxelles où elle pratique le fil avec Catherine Magis à l’Espace Catastrophe. Où, surtout, vit son compagnon, Foucaold, un Français rencontré à Bruxelles en 2005. Trois ans après leur rencontre, Vanina et Foucaold se marient. Et presque dix ans plus tard, naît la petite Maé. Dix ans. Une longue période de gestation due au métier particulier de sa maman, que nous rencontrons tandis que la petite, du haut de ses « six mois et deux jours » fait la sieste.

Comment fait-on lorsqu’on désire un enfant et qu’on a des tournées, des créations ?

Cela faisait longtemps qu’on y pensait mais à cause de notre métier, ce n’était jamais le bon moment. Il y avait précisément toujours une date, une tournée… Tant qu’il y avait des projets, on reportait. Puis on s’est dit qu’il fallait arrêter de se questionner, sinon on n’y arriverait jamais !

As-tu pu continuer à travailler en étant enceinte ?

J’ai pu travailler pendant la moitié de la grossesse, car nous avions une création en cours. Ma partenaire de spectacle, Eleonora Gimenez, était aussi enceinte, mais en fin de grossesse. Finalement, cela tombait bien car durant les résidences, on a travaillé chacune à notre tour pendant que l’autre observait.

Ton corps est ton principal allié, ton instrument de travail. Est-ce que le fait de tomber enceinte a pu être source de questions, voire d’inquiétudes ?

Oui, mais comme j’ai beaucoup de copines qui ont commencé à avoir des enfants et que ma sœur Natalia était déjà maman, cela m’a rassurée. J’ai réalisé que tout cela était possible !

Après l’accouchement, combien de temps as-tu attendu avant de reprendre ?

Trois mois et demi… La reprise a été très intense, car nous avions une première à assurer. Mais cela s’est très bien passé. J’avais fait beaucoup de kiné pré et postnatale ainsi que du yoga. Cela m’a beaucoup aidée à comprendre ce qui se passait.

Et depuis que tu retravailles, ton compagnon te soutient-il ?

Sans lui, la reprise n’aurait pas été possible. Il m’a accompagné en résidence et c’est lui qui s’occupait de Maé. Pour moi, il était important de savoir qu’elle était là, juste à côté, avec son papa, au meilleur endroit où elle pouvait être, toute proche pour l’allaitement. Le rôle du papa est essentiel. Sans lui, je n’aurais jamais pu faire cette première. Au mois de mars, on a un nouveau challenge car, lui comme moi, on sera tous les deux au Festival  UP !, chacun avec notre projet.

Tu allaites. Ça ne te fatigue pas trop ?

Si ! Après la tétée, je me sens vidée, surtout au milieu d’une répétition mais en même temps, grâce à l’allaitement, on retrouve plus vite son corps d’avant.

Qu’est-ce que la maternité a changé en toi ?

J’ai un autre rapport au risque, aux choix. Je sens une force nouvelle, sur les plans physique et émotionnel. C’est surtout mon rapport à mon corps qui a changé. Physiquement, j’ai retrouvé ma morphologie d’avant, mais je sens que tout est mieux structuré, à la fois dans l’équilibre et le rapport au risque. Les choix que je fais sur les agrès, physiquement et inconsciemment, me semblent meilleurs… Je me sens plus centrée, plus sereine, plus efficace. J’ai une autre intelligence dans le corps, comme si je sentais une force nouvelle qui se dégage autrement qu’avant. C’est peut-être lié à mon état d’âme.

Et en tournée, comment feras-tu ?

Maé viendra avec nous, dans la caravane ou dans les appartements en résidence. C’est ainsi qu’on l’a déjà fait pour aller à Auch, au mois d’octobre. Elle avait 5 mois et c’est elle qui avait la plus grosse valise !

« Mon corps est plus ancré dans la vie »

Elle a étudié l’Anthropologie socioculturelle à l’Université Nationale de Rosario, en Argentine, mais c’est à la corde souple qu’Eleonora Gimenez consacre sa vie aujourd’hui. Et aussi à son adorable petit garçon, Camilo, né voici 14 mois. D’abord autodidacte, Eleonora suit ensuite une formation à l’Académie Fratellini en 2010. Elle souhaite aujourd’hui poursuivre l’implantation de sa compagnie Proyecto precipicio en France. Son premier spectacle, Lugar, interroge la problématique de l’inquiétude, au sens premier d’une « absence de repos ». « Lugar » signifie « lieu » en espagnol), et le nom est en quelque sorte devenu celui de la compagnie dont font également partie la fildefériste Vanina Fandiño (lire ci-contre) et le philosophe Diego Vernazza. Trois Argentins, nés à Rosario, trois amis d’adolescence qui viennent souffler leur vent sud-américain sur nos contrées.

Quand on la contacte pour parler de sa maternité en tant que circassienne, Eleonora explique qu’elle a toujours voulu être mère mais que les aléas de la vie, professionnelle et personnelle, ont fait qu’elle a dû attendre trente-six ans pour voir naître son petit garçon. Dès que tous les compteurs étaient au vert, elle n’a plus attendu une seconde et n’a pas tenu compte des exigences du calendrier pour réaliser l’un de ses rêves. « C’est magique de tomber enceinte. Cela n’a rien à voir avec un calendrier. Gérer la maternité et l’activité professionnelle relève de l’art pour moi. Et c’est un art que chaque mère exerce, pas seulement les circassiennes ! »

Cette grossesse risquait-elle de modifier le corps de l’acrobate ? « C’est un processus qui apporte de la croissance au niveau artistique. Mon corps a changé car il a donné vie, il est plus puissant, plus fort, plus ancré dans la vie », nous dit l’artiste qui a travaillé jusqu’au cinquième mois et qui a allaité son enfant pendant un an. « Je viens de le sevrer et je trouve que les changements sont plus importants après le sevrage. »

Eleonora Gimenez a repris le travail en douceur lorsque son enfant avait quatre mois. En donnant d’abord des cours puis en travaillant la dramaturgie. Elle est remontée sur le fil lorsque Camilo avait cinq mois et elle a déjà effectué une tournée avec lui. Mais aussi avec l’indispensable papa, avec sa maman qui est venue d’Argentine et l’autre mamie tout aussi essentielle. Une solidarité familiale qui a permis à la compagnie de vivre trois naissances en un an : celles de Camilo, Maé et… Lugar.

Lugar, par la compagnie Proyecto precipicio, à voir le 15/03, au BRONXS, à Bruxelles, dans le cadre du Festival UP!

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L'auteur.e de l'article

Laurence Bertels

Auteur et journaliste @lalibrebe jeune public, arts, scènes, littérature.