Le Circusdecreet organise depuis dix ans la vie circassienne au nord du pays. De nombreux acteurs reconnaissent à ce texte législatif d’avoir donné une impulsion exemplaire pour le développement du cirque. Peut-il dès lors servir de modèle… côté francophone ? Réponse avec ses principaux usagers.
Il y a dix ans tout juste, en 2008, le Parlement Flamand votait le Circusdecreet. Un « Décret cirque » visant à financer et organiser l’ensemble du secteur. À l’heure d’un premier bilan, le secteur se montre plutôt enthousiaste de l’impact de ce véritable acte politique, les arts du cirque contemporains ayant connu un développement jamais observé jusque-là en Flandre. Dans une Belgique divisée linguistiquement, politiquement et culturellement, il est souvent de bon ton de se comparer entre régions. La partie francophone constate une Flandre (plus riche) mieux lotie, quel que soit le domaine. Mais est-ce vrai en matière de cirque ? Quel est le regard de la Flandre sur son propre secteur ?
Un budget propre
Premier effet concret du Circusdecreet : un budget propre aux arts du cirque. En 2017, ce sont 2,328 millions d’euros qui ont été réservés par la Communauté flamande, une enveloppe articulée entre les quatre piliers (création, promotion, formation et diffusion) d’une législation qui vise l’expansion et la croissance du cirque. De façon comparative, côté francophone, les trois secteurs de la ligne budgétaire « Cirque, Arts de la rue et Arts forains » ont reçu, dans leur ensemble, 1,403 million en 2017, pour le soutien aux festivals, aux structures de résidence et d’accompagnement artistique et la création. La différence commence sans doute là, avec un budget flamand de 66% supérieur au budget francophone (qui englobe en outre trois secteurs). Notons que la Fédération Wallonie-Bruxelles a revu sa subvention à la hausse en 2018, avec une enveloppe s’élevant à 1,879 million, et annonce, pour 2019, un budget de 1,844 million.
Les festivals sont les premiers bénéficiaires du Circusdecreet. Trois rendez-vous majeurs pour les arts du cirque sont particulièrement choyés : Theater op de Markt à Neerpelt reçoit 380.000 € annuellement, Perplx à Marke 320.000 et Miramiro à Gand 280.000. « Avec cette subvention, nous avons pour mission première d’organiser un festival bien évidemment », nous explique Gert Nulens, directeur du festival limbourgeois Theater op de Markt, « mais aussi d’accueillir des compagnies en résidence, d’organiser des rencontres professionnelles et des formations. » Le festival invite aussi de nombreux programmateurs, promesses de tournées futures. Une évidence : ces sommes ne sont en rien comparables aux subventions octroyées en Fédération Wallonie-Bruxelles.
Ensuite viennent les crédits dédiés aux compagnies et aux créations. De 2009 à 2017, c’est un peu plus de 1,6 million qui a été réparti entre projets aux ampleurs diverses, du petit numéro au grand spectacle. « Quand on a commencé, on était trois ou quatre compagnies de cirque à côté des grandes familles. Au dernier appel à projets d’octobre, il y avait 20 compagnies sérieuses », la preuve d’une effervescence, pour le jongleur Bram Dobbelaere de la compagnie Ea Eo. Dans le détail, on remarque toutefois que le montant annuel dédié à la création a diminué tout long de la dernière législature, passant de plus de 300.000 € en 2014 à un peu plus de 217.000 en 2017. Cette tendance à la baisse laisse planer des doutes sur le futur. « Sur le plan budgétaire, la Flandre n’est pas encore prête pour les compagnies. […] La plupart des compagnies comptent deux à cinq personnes maximum », relevait récemment le circassien Alexander Vantournhout à l’occasion des dix ans du Circusdecreet[1]. « L’aide à la création n’est pas énorme et je n’ai pas l’impression que ça bouge beaucoup », avance Patrick De Groote, directeur du Zomer van Antwerpen, déplorant le saupoudrage de l’enveloppe. « Quand je vois certaines compagnies étrangères que nous accueillons, je me dis qu’on en est encore loin », ajoute-t-il. « Oui, le secteur reste fragile », confirme le directeur du Circuscentrum, Koen Allary, les montants dédiés au cirque restant toujours inférieurs aux autres arts de la scène comme le théâtre, la musique ou la danse. « Mais c’est une fragilité toute adolescente. Pas de crise mais beaucoup d’amour ! », se console-t-il. « Natuurlijk kan alles beter » – bien sûr, on peut toujours faire mieux.
Reconnu comme discipline propre, avec son décret rien que pour lui, le cirque est davantage protégé de la gourmandise budgétaire d’autres disciplines comme le théâtre, la musique ou la danse (secteur de renom en Flandre). Cependant, l’isolement à des conséquences, nuance Patrick De Groote dont le festival anversois ne reçoit rien du Circusdecreet, tombant hors de son champ d’action en raison de sa multidisciplinarité. Il programme pourtant du cirque depuis près de 25 ans. « J’ai l’impression qu’on est toujours en train de développer le cirque en Flandre », conclut-il, pour nous dire que le Circusdecreet n’a pas tout réglé.
Union et professionnalisation
Si des questions demeurent, le Circusdecreet a donné une impulsion, un mouvement, que tout le monde reconnaît. « Le décret a permis de former une véritable communauté et de professionnaliser le secteur par des lieux, des artistes et des infrastructures », observe Gert Nulens, comme ses confrères. À ce sujet, on ne peut d’ailleurs pas passer à côté du rôle du Circuscentrum de Gand. Tous nos interlocuteurs reconnaissent l’efficacité de ce centre d’informations et de ressources qui sert de visage régional et international du cirque flamand. Question logique : la Fédération Wallonie-Bruxelles ne mériterait-elle pas pour son rayonnement un « guichet » unique sur les arts du cirque ? Nombreux sont les circassiens flamands à souligner le travail de qualité des structures comme l’Espace Catastrophe à Bruxelles, Latitude 50 à Marchin ou encore le Centre des Arts de la Rue à Ath. Bram Dobbelaere a pu apprécier l’accueil de ces infrastructures en y trouvant un espace de recherche et du temps indispensables pour mener à terme un projet de qualité. Ces institutions, centrées sur la création, la formation ou la diffusion, assument en plus des missions d’information et de promotion des arts du cirque sans toujours avoir les moyens nécessaires. La Flandre investit tout de même 680.000 € chaque année dans le Circuscentrum…
Le cirque belge francophone déborde de créativité et d’énergie. Ce qu’il peut toutefois apprendre du nord du pays, nous souffle Koen Allary, c’est l’affirmation d’une volonté politique en faveur du cirque, de sa qualité et de son rôle social, par l’entretien (financier, il n’y a pas de secret) de terreaux professionnel et amateur. À ce propos, le nouveau Circusdecreet, qui devrait être voté au printemps prochain, aura aussi sous son aile les nombreuses écoles de cirque amateur disséminées en Flandre. S’il pense évidemment à sa relève, le cirque flamand tient aussi à entretenir son public potentiel, par une pratique artistique accessible au plus grand nombre. « Avec le Circusdecreet, les jeunes ont compris qu’il était possible de devenir pro, leurs parents aussi », reconnaît Bram Dobbelaere. Quant à savoir, si le secteur circassien du sud a besoin d’un système aussi centralisé, à lui de le décider.
[1] Dans la brochure Cirq’onstances II éditée par le Circuscentrum. En libre accès sur: https://www.circuscentrum.be/wp-content/uploads/2014/06/cirqonstances-II_LR.pdf. On y retrouve la plupart des données chiffrées.
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L'auteur.e de l'article
Nicolas Naizy
Journaliste, Nicolas Naizy suit avec curiosité et attention l'effervescence de l'actualité culturelle à Bruxelles et en Belgique. Ses sujets de prédilection: les arts de la scène bien évidemment qu'il suit et critique pour Radio Campus et C!RQ en CAPITALE, mais aussi la littérature et la bande dessinée pour diverses publications.