Tous accros à l’acro

Avr/Mai/Juin 2015

Et si le langage commun de tout artiste de cirque, c’était le geste acrobatique ? Toutautour de la terre, depuis des millénaires, l’acrobatie puise aux mêmes sources. Egauxface à la gravité, les acrobates partagent un alphabet commun, venu du fond des âges etsans cesse réinventé.

1. Genèse possible (ou pas)
Comment la figure acrobatique est née d’un besoin et s’est ensuite déliée de lui.

Acro ©Laurent Ancion

1. En des temps immémoriaux, trois chasseurs traquent un bison
2. Soudain, l’un d’eux effectue une figure particulièrement habile
3. Les deux autres s’arrêtent, bouche bée : de leur regard naît le cirque
4. On recommence (avec plus de public). Le geste devient art

2. Akro-bate

Le grec ancien forge le mot « akro-bat » (d’« akron », extrémités, et « batein », marcher) :
« marcher sur les extrémités ». Une acrobatie est « un mouvement spectaculaire et difficile
qui exige force, équilibre, agilité et souplesse » (dit Le Petit Robert). Il se décline au sol ou
sur fil, corde, bambou, bascule, barres,… Si le corps suit, l’imagination est la seule limite.

 

 

 

3. Racines universelles


Au fil des millénaires, c’est dans les pratiques rituelles que l’art acrobatique se codifie. Les
peuples de chasseurs s’attirent ainsi les faveurs de la nature. Le geste acrobatique accompagne
les pratiques religieuses : déjà 600 ans avant notre ère, les moines bouddhistes s’adonnent à
des acrobaties exceptionnellement endurantes, à la recherche du « Souffle vital ».

 

 

4. Evolution
Au Moyen Âge, l’acrobatie est devenue discipline à part entière. L’artiste itinérant défie le
sens commun, à ses risques et périls (trop doué, il pouvait être condamné pour sorcellerie).
Dès 1768, le cirque moderne de Philip Astley, d’abord équestre, ajoute vite des « sauteurs »
en tout genre. Les voyages en Asie et en Afrique élargissent l’écriture du geste acrobatique.

 

 

 

5. Aujourd’hui
L’acrobatie est le langage commun qui unit les circassiens des quatre coins du monde. Qu’il
soit exécuté en costume à paillettes ou dans le dépouillement contemporain, un triple salto
reste un triple salto : la sueur n’est-elle pas identique ? Le défi acrobatique dépasse la simple
prouesse pour créer du sens, porté par un langage muet venu du fond des âges.

 

 

 

6. Adrénaline


« J’adore cette prise de risque. Elle me garde éveillé. La montée de l’adrénaline, c’est comme
une addiction » (Kritonas Anastopoulos, compagnie Acrobarouf)
« Chez beaucoup d’acrobates, la prise de risque nous fait sentir vivants. Dompter la mort un
instant, c’est presque une drogue » (Sydney Pin, compagnie La Meute)

 

 

7. Livre

Comprendre, penser, tracer le saut : c’est toute l’histoire de l’acrobatie et du cirque. Le
premier livre sur l’acrobatie date de 1599 et se nomme « Trois dialogues dans l’exercice de
sauter et voltiger en l’air », signé par Archange Tuccaro. Il était « saltarin » du roi Charles IX,
lui-même accro à l’acro. Il est vraisemblablement le premier codificateur de l’art du saut.

L’acrobate peut-il tomber ?

S’il ne le fait pas exprès : hé bien NON
Depuis la nuit des temps, l’acrobate défie l’impossible (c’est son job). Il est « quelqu’un
d’ordinaire qui fait quelque chose d’extraordinaire ». Le public obtient de lui son droit au rêve, attendant qu’il triomphe, pas qu’il tombe. Sa prouesse démontre qu’on a raison de garder espoir (en l’homme, en l’humanité,…) : on va y arriver.

S’il le fait exprès : ah OUI
L’artiste qui fait semblant de rater un numéro pour divertir le public, c’est le clown :
l’acrobate-cascadeur aussi vieux que le cirque lui-même. Il nous permet de rire de nous-
mêmes, de nos faux-pas. Sa (fausse) maladresse permet de garder l’espoir (en l’homme, en l’humanité,…) : c’est parfois dur, mais on va y arriver.

Le mot et la chose

C’est comme « taxi » ou « hôtel » : dites « acrobate » et on vous comprendra un peu partout dans le monde ! Le son « akrobat » [akʁɔbat] et ses dérivés sont utilisés dans plus de 20 langues : on dit « akrobat » en danois, en turc, en russe, en suédois ; « acrobata » en
espagnol et en portugais ; « akrobata » en polonais ; « akrobaatti » en finnois ; « akrobata » en hongrois… C’est un des mots les plus universels. Comme le mot « cirque » d’ailleurs !

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L'auteur.e de l'article

Laurent Ancion

Laurent Ancion est rédacteur en chef du magazine « C!RQ en Capitale ». Critique théâtral au journal « Le Soir » jusqu'en 2007, il poursuit sa passion des arts de la scène en écrivant des livres de recherche volontiers ludiques et toniques. Il est également conférencier en Histoire des Spectacles au Conservatoire de Mons et musicien.