Humanités cirque : le retour du chaînon manquant ?

Avr/Mai/Juin 2015

Vous avez 15 ans et vous êtes toqués de cirque ? Réjouissez-vous : l’opportunité vous sera peut-être bientôt donnée d’étudier officiellement les arts du cirque en secondaire. A l’image du sport ou du théâtre, on réfléchit à des « humanités cirque ».

Le cirque a ses raisons que la raison ignore. La logique aurait voulu que la filière enseignement des arts du cirque démarre en primaire, pour continuer de se déployer dans le secondaire et enfin culminer dans le supérieur. Mais c’est exactement l’inverse qui s’est mis en place : Bruxelles dispose aujourd’hui d’une Ecole Supérieure des Arts du Cirque (Esac), de renommée internationale, assurant l’excellence au sommet de l’échelle alors qu’il manque cruellement de barreaux pour y monter quand on est ado. L’une de ces marches pourrait s’appuyer sur des « humanités cirque », dans le secondaire, mais aucun cadre officiel n’existe pour le moment en Belgique. En 1990, un projet a pourtant ouvert la voie : alliée à l’Athénée Charles Janssens, l’Ecole de Cirque de Bruxelles embarquait une petite dizaine d’élèves dans un projet pilote d’humanités cirque – dont les frères Thabet devenus les coqueluches de la scène contemporaine – mais faute de moyens et de soutien unanime des profs, l’initiative, trop isolée, a capoté.

L’envie d’une immersion totale

Aujourd’hui, c’est fait, les lignes bougent. Le contexte a changé, le cirque contemporain connaît un boom sans précédent, le secteur s’est professionnalisé, l’Esac est reconnue internationalement et un nombre croissant de structures convergent vers cette envie de créer des humanités cirque. En décembre dernier, un projet réunissant plusieurs initiatives a d’ailleurs atterri sur la table du Conseil Général de l’Enseignement Secondaire pour en définir les contours, s’inspirant de demandes concrètes d’écoles qui, toutes, prônent un lien direct avec un partenaire culturel : l’Institut des Ursulines à Koekelberg serait par exemple associé à l’Espace Catastrophe ; l’Athénée de Huy avec Latitude 50 à Marchin, ou encore l’Académie des Beaux-Arts avec l’Ecole de Cirque de Bruxelles. « L’idée est de créer de vrais liens entre l’école et un lieu cirque pour que les élèves puissent s’entraîner et avoir des cours dans une infrastructure dédiée au cirque, au milieu des artistes, voir des étapes de travail pour que l’immersion soit totale », précise Benoît Litt, dont l’Espace Catastrophe devrait déménager en 2017 à moins de 200 mètres des Ursulines. Ce projet d’humanités cirque s’inspire du modèle français où les initiatives de ce type sont en lien avec des pôles circassiens bien précis. Détail intéressant : l’option cirque y est liée à un bac littéraire.

En Belgique, le projet se glisse forcément dans les interstices du système déjà éprouvé des humanités artistiques et des humanités sportives. « Décider que le cirque relève plus du sport ou de l’art n’a pas de sens, ce doit être les deux », affirme Virginie Jortay, directrice de l’Esac. « Bien sûr, les écoles doivent pouvoir choisir, en fonction de leur public, mais nous voulons que les grilles soient les mêmes ».

Défi de taille : il n’existe pas pour l’instant de diplôme agréé pour devenir « prof de cirque » dans le secondaire. L’Ecole de Cirque de Bruxelles dispense une formation pédagogique de douze mois, qui a déjà outillé de très nombreux formateurs, mais elle n’est pas qualifiante.

S’il reste encore à éclaircir de nombreux points, la volonté politique est là. Il y a quelques semaines, dans ces mêmes colonnes, Joëlle Milquet, Ministre de l’Education, se disait favorable à l’ouverture de ces humanités cirque. Ce serait une occasion en or pour appliquer la ligne directrice de sa politique : favoriser les synergies entre la culture et l’école.

Un projet pilote en Flandre

A ce jour, il n’existe qu’un seul exemple approchant les humanités cirque en Belgique. On trouve cette initiative en Flandre, à l’Athénée Royal Redingenhof de Leuven, en collaboration avec Cirkus in Beweging, dynamique école de cirque (plus de 1000 élèves y passent chaque semaine) fondée par Rika Taeymans. L’initiative est venue de l’athénée qui voulait ajouter une option cirque à ses humanités sportives. Les élèves commencent dès 12 ans, avec 6 heures de cirque par semaine, puis 7 heures/semaine en 5e et 6e secondaire, dispensées par des profs sélectionnés par Cirkus in Beweging. Ces profs ont tous un Master ou un Bachelor en éducation physique, complété par une formation pédagogique circassienne à l’Ecole de Cirque de Bruxelles (ou à l’étranger) ou une formation courte dispensée par Cirkus in Beweging avec le soutien du Circuscentrum. L’équipe convie aussi des artistes en « professeurs invités ». « Nous avons quatre ans d’expérience et je pense qu’il en faut au moins six pour réfléchir à un programme officiel et essayer de le déployer ailleurs », analyse Rika Taeymans. « S’il n’existe rien d’officiel en Flandre à l’échelon ministériel, le Circuscentrum, qui fait office d’organisation ‘parapluie’, suit attentivement notre projet. Le temps venu, il pourra aider à le développer à un niveau plus institutionnel ».

Formation préparatoire : élargir les horizons avant le grand saut

Si les humanités cirque voient le jour en Belgique francophone, il manquera encore un chaînon important dans le parcours du circassien en devenir : une année dite « préparatoire » pour se donner toutes les chances d’accéder aux études supérieures, dont le niveau d’exigence est de plus en plus élevé. Là encore, une telle structure a déjà existé, orchestrée cette fois par l’Espace Catastrophe, à Bruxelles, entre 2000 et 2005.

« L’idée était de proposer une école préparatoire qui ouvre le plus de pistes possibles », indique Catherine Magis, directrice de l’Espace Catastrophe. « Nous voulions avant tout transmettre aux participants les clés pour une meilleure orientation, un peu comme on fait une spéciale Maths, sans trop savoir ce qu’on veut faire après. Nous voulions élargir le champ de connaissances d’un étudiant ne sachant s’il voulait être créateur, interprète, jouer dans une troupe ou dans la rue, ou se diriger vers la pédagogie. Et éventuellement, pour ceux qui se destinaient à une école supérieure, les orienter vers celle qui correspondait à leur profil. Le but était de leur donner les moyens de mieux se connaître ». Ce fut le cas notamment d’Arno Wauters. « C’est grâce à cette formation que je fais ce que je fais aujourd’hui », s’enthousiasme celui qui, après l’Espace Catastrophe, a enchaîné avec une autre formation à Châtellerault, avant de faire l’Ecole nationale de cirque de Montréal, de devenir artiste et aujourd’hui directeur de l’Ecole de Cirque d’Anvers. « Je n’avais jamais fait de cirque avant d’aller à Catastrophe. Juste 16 ans de basket et un peu de danse. Ça m’a ouvert l’esprit et mis des challenges plein la tête ».

Héritage du passé et envies d’avenir

La formation préparatoire de l’Espace Catastrophe, c’était 2000 euros de minerval et 1250 heures sur une année, après avoir été sélectionné sur dossier et audition. La promotion accueillait aussi bien des jeunes destinés aux études supérieures qu’un médecin s’octroyant une parenthèse artistique. Les participants alternaient un intense travail technique et des cours plus théoriques sur l’anatomie, l’analyse de spectacle ou l’écriture d’un dossier de candidature. Face au succès grandissant de sa formation, disproportionnelle à ses moyens, l’Espace Catastrophe a dû jeter l’éponge en 2005.

Aujourd’hui, des projets de relève pointent le nez, notamment à Anderlecht. Fondateur de Cirqu’Conflex et aujourd’hui directeur d’Escale du Nord, Vincent Bouzin est soutenu par la commune d’Anderlecht qui soumet au Fonds Européen de Développement Régional (FEDER) un projet de reconversion d’un îlot délabré, incluant notamment une école préparatoire. « Même si, avec le déménagement prévu de l’Esac sur le campus du Ceria, à Anderlecht, il serait logique d’établir des liens, cette école préparatoire ne serait pas destinée qu’à l’Esac mais à toutes les formations en arts du cirque au niveau européen et international », précise Vincent Bouzin. En Wallonie, la piste d’une septième préparatoire est envisagée à l’Athénée de Morlanwelz. « Nous avons des humanités sportives avec des élèves qui ont de très bonnes aptitudes physiques mais dont l’orientation se fait systématiquement vers les métiers de profs d’éducation physique ou de kiné », analyse la préfète Claudine Cornez. « Créer cette septième préparatoire en cirque permettrait d’ouvrir leur horizons, de leur montrer que d’autres carrières sont possibles ».

SCRATCH Par la compagnie Acrobarouf

Est-ce du feu, du fuel, des ressorts, des vitamines au carré ? Une chose est sûre : ces trois-là ont ingéré un truc détonant, qui leur donne aujourd’hui une énergie à décaper…

La ville (comme) sur un plateau 

D’avril à octobre, quand les températures se font plus clémentes, il n’est pas rare de voir le cirque prendre ses quartiers à ciel ouvert. Comment crée-t-on et vit-on le cirque...

Les flibustiers de l’amer

Le moment est venu de se graver un cœur au creux du biceps : les Argonautes, au nom inspiré des intrépides marins de la mythologie grecque, fêtent leur vingt ans. Belle...

Comment devenir circassien… et le rester

Le besoin en « formation continue » est évident dans différents métiers. En cirque aussi, le diplôme en poche n’est pas le sésame magique de toute une carrière : l’entraînement, la recherche et...

L’Esac : une formation sur mesure

Notre capitale peut s’enorgueillir de compter l’une des écoles supérieures de cirque les plus courues au monde. Mais l’Esac ne s’endort pas sur ses lauriers : on y conjugue les défis...

L’école où les élèves font leur cirque

Le Centre Scolaire d’Auderghem combine trois heures de cirque par semaine à ses cours de maternelle et de primaire. Le « Cirquétudes » est un projet pionnier en Belgique. Depuis 20 ans,...

Itinéraire d’une enfant du cirque

Quel est le parcours d’études d’un jeune artiste de cirque aujourd’hui ? En Belgique, il peut aller de la maternelle au supérieur... avec quelques passages par la case défi ! Violette Wauters,...

Une filière pour la liberté

Depuis 40 ans, l’apprentissage du cirque s’est émancipé du giron familial, cédant le pas à la montée en puissance créatrice des écoles officielles. Où en est la filière « enseignement...

Jo Dekmine

Infatigable découvreur, Jo Dekmine a fondé le Théâtre 140 en 1963 et le dirige depuis lors. Sur la scène bruxelloise, le cirque « d’aujourd’hui » s’est toujours tissé naturellement à la programmation,...

Tous accros à l’acro

Et si le langage commun de tout artiste de cirque, c’était le geste acrobatique ? Toutautour de la terre, depuis des millénaires, l’acrobatie puise aux mêmes sources. Egauxface à la...

Naviguez dans le numéro

L'auteur.e de l'article

Catherine Makereel

Journaliste indépendante (Le Soir).