Une filière pour la liberté

Avr/Mai/Juin 2015

Depuis 40 ans, l’apprentissage du cirque s’est émancipé du giron familial, cédant le pas à la montée en puissance créatrice des écoles officielles. Où en est la filière « enseignement » à Bruxelles ? Quelles sont ses spécificités, ses audaces, ses manques ? Un bel élan... en pointillés.

Une petite question peut parfois bouleverser tout un monde. Nous sommes au début des années 70, à Paris. Valérie, 13 ans et moue sûrement un peu boudeuse, interpelle sa mère et son beau-père : « Moi, comme métier, je veux faire du cirque. Je vais où ? ». Annie Fratellini, sa maman, issue d’une longue lignée de clowns, et Pierre Etaix, son beau-père acteur, la prennent au mot : l’Académie Fratellini ouvre ses portes en 1975. Valérie sera la première élève de la première école professionnelle de cirque en France ! C’est le début d’un changement fondamental pour l’apprentissage des arts de la piste dans le monde occidental : longtemps réservé au giron familial, dans la sciure du chapiteau, l’apprentissage artistique du cirque va désormais relever d’une filière qui mènera peu à peu à l’enseignement officiel.

Plus rien n’arrêtera le mouvement, né d’un changement des temps. Le Canada, pionnier, lancera son Ecole Nationale de Cirque en 1981, à Montréal. La France poursuivra avec l’ouverture du Centre National des Arts du Cirque (le Cnac), en 1983, à Châlons-en-Champagne. En Belgique, l’Ecole Sans Filet lancera une formation artistique pour adultes en 1986. Après plusieurs mues, cette formation deviendra l’Enac, puis l’Esac, reconnue comme Ecole supérieure d’art en 2003.

En migrant vers des écoles internationales, l’apprentissage du cirque imprimera un changement fondamental à l’art lui-même. La créativité du « nouveau cirque » (années 80), devenu « contemporain », doit beaucoup à une démocratisation des imaginaires, nourris par des artistes venus de tous horizons, assoiffés de découvertes, d’audaces et de mélanges. Le cirque devient pluriel et les formations se professionnalisent. En 20 ans, à Bruxelles, comme ailleurs en Europe, la proportion des diplômés et des non-diplômés s’est inversée parmi les artistes de cirque. Aujourd’hui, rares sont les autodidactes parmi les nouveaux venus. On a « fait » le Cnac, l’Esac, Montréal…

Le plein de projets et de défis

Alors, si une ado (ou son petit frère) nous lance : « Moi, comme métier, je veux faire du cirque. Je vais où ? », que lui répondre ? Où en est la filière « enseignement » dans la capitale belge ? Quelles sont ses spécificités, ses audaces, ses manques ? En suivant l’échelle des âges, c’est la question que se posent les prochaines pages. Depuis les maternelles et les primaires (avec un projet pilote depuis 20 ans, le « Cirquétudes »), jusqu’à l’âge « mûr » (avec la nécessité pour les circassiens d’apprendre et de s’entraîner tout au long d’une vie artistique) en passant par un sérieux projet d’« Humanités cirque » et la vigueur d’une école supérieure (l’Esac), notre capitale démontre qu’elle participe pleinement à l’histoire d’un art qui s’enseigne de plus en plus officiellement.

Il ne faudrait pas croire pour autant que cette filière (pleine de trous et de défis, on le lira aussi !) a supplanté tous les autres modèles de transmission. L’échange de savoirs, les stages, l’apprentissage en famille, la formation par l’expérience de la troupe ou même le « coaching » constituent des appuis essentiels aux circassiens, qu’ils soient professionnels ou rêvent de le devenir. Et le cirque, c’est évidemment d’autres métiers qu’artiste (à travers la Formation Pédagogique de l’Ecole de Cirque de Bruxelles par exemple, on apprend à devenir animateur, professeur). Ces pistes passionnantes, ce sera pour un autre numéro. Ici, on va parler de l’apprentissage artistique dans l’enseignement dit « officiel ». Nous verrons si les rêves correspondent à certaines réalités – et surtout si la réalité peut répondre aux rêves, ceux-là qui poussent toujours plus loin.

SCRATCH Par la compagnie Acrobarouf

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L'auteur.e de l'article

Laurent Ancion

Laurent Ancion est rédacteur en chef du magazine « C!RQ en Capitale ». Critique théâtral au journal « Le Soir » jusqu'en 2007, il poursuit sa passion des arts de la scène en écrivant des livres de recherche volontiers ludiques et toniques. Il est également conférencier en Histoire des Spectacles au Conservatoire de Mons et musicien.