Comment devenir circassien… et le rester

Avr/Mai/Juin 2015

Le besoin en « formation continue » est évident dans différents métiers. En cirque aussi, le diplôme en poche n’est pas le sésame magique de toute une carrière : l’entraînement, la recherche et la découverte de nouvelles techniques font du circassien un « étudiant » pour la vie !

L’artiste de cirque n’est pas un produit manufacturé. Il n’est pas « fini » parce qu’il sort d’une des meilleures usines à circassiens du marché ! Après avoir été encadré par des maestros internationaux et entraîné à la dure par des pros qui l’ont élevé à un niveau ultra compétitif, après avoir soigneusement sculpté un numéro, l’acrobate sort de l’école avec une solide carte de visite mais son outil (c’est-à-dire lui-même) est loin d’être parachevé. Comme un sportif de haut niveau, le circassien doit exercer son corps et sa discipline tout au long de la vie. S’il n’existe pas aujourd’hui de filière officielle pour la formation continue en Belgique, l’esprit curieux et entreprenant trouvera de nombreuses façons de poursuivre son apprentissage.

Pas besoin, forcément, de passer par une formation « officielle ». C’est notamment au fil des créations et des productions que l’artiste continuera à apprendre, par des échanges naturels de connaissances, quand untel l’initiera à quelques rudiments de mât chinois, pour les besoins du spectacle, tandis que lui-même transmettra sa technique de jonglerie. Ou quand celui-ci quittera le projet pour des raisons d’agenda et qu’il passera le relais à son remplaçant en lui cédant les clés de sa maîtrise. Partager sa technique, c’est le B.A-BA du cirque, la base pour communiquer sur un plateau.

Une formation permanente

« L’entraînement physique, c’est toujours plus gai à pratiquer à plusieurs que dans son coin », estime Catherine Magis, qui a longtemps organisé des « entraînements dirigés » à l’Espace Catastrophe. « On faisait venir des pointures, en trampoline par exemple, capables de faire travailler des gens de niveaux différents ». De la même manière, la dynamique directrice organisait une douzaine de master classes sur l’année, avec des figures comme Jos Houben, maestro du rire, formateur lors de stages étalés sur une ou deux semaines. Des compagnies en résidence pouvaient être le déclencheur d’un « workshop », un jongleur invitant d’autres artistes à partager ses recherches sur l’écriture. Aujourd’hui, l’Espace Catastrophe a largement réduit la voilure, faute de moyens, même si quelques stages internationaux continuent d’émailler sa saison, à l’image des stages de Stéphane Georis et Francy Bégasse sur la marionnette-objet. « Une fois que l’Espace Catastrophe sera installé à Koekelberg [à l’horizon 2017 NDLR], c’est un des premiers volets que nous avons envie de favoriser ».

D’autres plateformes comme le Cifas (Centre international de Formation en Arts du Spectacle) pourraient élargir leur champ d’action au cirque, mais le terrain belge de la « formation continue » reste encore fort peu structuré. Malgré tout, les artistes eux-mêmes s’organisent pour répondre à la forte demande de la communauté circassienne. « On voit aujourd’hui des artistes pédagogues monter leur propre programme, comme Christophe Thellier, accueilli par les compagnies elles-mêmes pour donner des stages sur le clown », se réjouit Catherine Magis. Aller au-delà des cadres, continuer à explorer et à inventer, c’est dans les gênes du cirque ! Ne manque qu’un peu plus de moyens…

« Il faut renforcer le paysage global »

Exergue :

« Le marché du travail est moins bouché en cirque qu’en théâtre. Par contre, la carrière est plus courte et le risque professionnel plus important »

 

C’est un regard en première ligne que Benoît Vreux pose sur la filière de l’enseignement artistique des arts du cirque : il est directeur du Centre des Arts Scéniques (CAS), dont les activités visent à favoriser l’entrée dans la vie professionnelle des jeunes diplômés des écoles supérieures artistiques de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Et il dirige aussi le Centre International de Formation en Arts du Spectacle (Cifas), organisateur de rencontres et de formations auprès d’artistes de renommée internationale, une autre passerelle entre l’école et le métier. Il détecte ici les forces et les défis de l’enseignement et de l’insertion professionnelle.

 

Quels sont les manques dans la filière de l’enseignement artistique officiel en cirque ?

Pour l’instant, l’absence d’école préparatoire est essentiellement ce qui fragilise le secteur. Je serais confiant dans l’avenir du cirque chez nous si on parvenait à combler ce manque. En fait, la faible représentation d’étudiants belges à l’Esac, liée au fait que nos jeunes n’ont pas encore un niveau suffisant pour y accéder, pourrait rendre la situation politiquement difficile : il ne faudrait pas que nos représentants politiques y trouvent un argument pour remettre en question le financement de l’Esac en cas de resserrement dans les budgets de l’enseignement.

 

Quelles sont les perspectives d’emploi artistique pour un circassien aujourd’hui ?

Le marché professionnel est beaucoup plus étendu pour les circassiens que pour les comédiens. Ceux-ci restent surtout en Fédération Wallonie-Bruxelles ou partent éventuellement en France ou en Suisse, langue oblige. Le circassien, lui, peut partir travailler en Allemagne, en Suède, en Italie,… Le marché du travail est moins bouché que dans le théâtre. De plus, il y a toute une culture du voyage liée à cet art né sous chapiteau, alors que si on propose à un comédien de passer une audition à Liège, ça lui paraît parfois le bout du monde ! Par contre, la carrière du circassien est plus courte et le risque professionnel est plus important. Il peut, du jour au lendemain, voir sa carrière s’effondrer à cause d’une blessure. Certains ont le corps brisé à 40 ans parce qu’ils veulent être les meilleurs et que le niveau d’exigence ne cesse de grimper.

 

Danse, théâtre, cirque, arts plastiques se mêlent aujourd’hui. Ce mélange conditionne-t-il les apprentissages ?

Historiquement, un artiste n’est pas quelqu’un qui a une spécialité mais quelqu’un qui a une sensibilité. C’est notre société technocrate actuelle qui veut qu’on se spécialise. L’Esac l’a bien compris, puisque l’école défend l’idée d’un circassien qui soit un artiste, avec certes une singularité (que ce soit le triple saut arrière ou la jonglerie), mais qui soit formé et soutenu comme un artiste de scène, au sens large.

 

Quel est le défi pour l’insertion professionnelle des artistes de cirque ?

Un marché du travail, c’est un tout. Ce n’est pas juste une personne qui trouve un emploi à un endroit précis. Il faut renforcer le paysage global avec des écoles préparatoires, des compagnies de référence, un lieu de référence pour mettre en valeur la création, des revues spécialisées comme la vôtre, une variété de festivals. Et ce qui manque avant tout, c’est un organisme fédérateur, un lieu de dialogue avec les pouvoirs publics et les structures, un lieu pour débattre. Un peu comme la Chambre des Théâtres pour l’Enfance et la Jeunesse (CTEJ), qui a vraiment « assis » le théâtre jeune public, avec Noël au Théâtre, les Rencontres de Huy, la revue du « Petit Cyrano »,… Il faut un lieu qui permette une position commune pour défendre un cirque pourvoyeur d’emplois et vecteur d’économie positive auprès des pouvoirs publics.

SCRATCH Par la compagnie Acrobarouf

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L'auteur.e de l'article

Catherine Makereel

Journaliste indépendante (Le Soir).