Le Centre Scolaire d’Auderghem combine trois heures de cirque par semaine à ses cours de maternelle et de primaire. Le « Cirquétudes » est un projet pionnier en Belgique. Depuis 20 ans, les apprentissages scolaires trouvent leur place sur les tapis et dans les airs.
Ce vendredi matin, les élèves de seconde année primaire du Centre Scolaire du Souverain à Auderghem attendent excités, en tenue de gym, short et tee-shirt blanc, leur professeure France De Staercke. En vérité, celle-ci est circomotricienne et si les enfants paraissent si motivés, c’est qu’ils vont « faire du cirque » pendant 1h30. Chaque classe de primaire et de maternelle participe aux séances préparées par les trois circomotriciennes, France De Staercke, Katia Manconi et Aline Delvaux. L’horaire ? Une fois par semaine pour les premières et deuxièmes maternelles, deux fois par semaine à partir de la troisième maternelle jusqu’en sixième primaire, pour un total de près de 300 jeunes « circassiens » !
« Allez ! Tout le monde s’assoie en cercle sur ce tapis », lance France à son petit groupe de 14 élèves de 7 ans. Demain, ils partent en classe verte. La pédagogue a donc choisi de travailler sur ce thème. « La grande différence avec les cours de cirque extrascolaires, c’est qu’ici les cours sont intégrés au programme pédagogique. Nous essayons de faire un lien entre ce qu’ils apprennent en classe et nos activités. C’est un travail d’équipe avec les autres professeurs ».
Aujourd’hui, les enfants doivent mimer avec les massues, corde, foulards et ballons, ce qui pourrait leur arriver lors de leur séjour à Arlon. Une introduction pour briser la glace, même si plusieurs montrent encore leur timidité. France installe ensuite les tapis, les tonneaux, les rola bola, la boule et le fil pour une séance d’équilibre. Ce sont les agrès aériens qui suscitent le plus d’enthousiasme. « Moi, je préfère le trapèze », remarque Guillaume. « Le tissu ou l’échelle », ajoute sa camarade Elise. Il s’agit maintenant de raconter ce qui va se passer en classe verte par petits groupes de deux ou trois. « C’est leur premier séjour d’une semaine. C’est pour dédramatiser le fait de dormir ailleurs ». L’imaginaire débordant des enfants s’exprime avec les accessoires de cirque. Raphaël et Yann jouent les casse-cous sur les tonneaux. Juliette et sa copine imaginent leur lit en haut de l’échelle et la douche dans le cerceau en reproduisant la figure de « la goutte ». Elise reproduit la séance matinale d’habillage en équilibre sur un ballon.
Cirque à tous les étages
Dans une deuxième salle équipée à l’étage, les enfants de première primaire s’entraînent pour le spectacle de fin d’année monté par toute l’école. Chaque niveau s’occupe d’une tâche bien particulière, de l’accueil du public à la représentation en passant par la fabrication des décors. Le thème de cette année, c’est New York. « Je voudrais que chacun d’entre vous mime une figure en rapport avec New York dans les différents ateliers », demande la circomotricienne Aline Delvaux. Les apprentis circassiens se répartissent entre les trapèzes, tonneaux, tissus, cerceaux, bâtons du diable, échasses, boîtes à cigares,…
« Ce n’est pas qu’une initiation aux techniques de cirque », explique France De Staercke. « Le fait de faire un lien avec l’école est une motivation en plus. Par exemple, on utilise les notions d’espace, les jours de la semaine, l’introduction aux temps du passé et du futur… Pour les élèves, c’est une manière de vivre par le corps les apprentissages scolaires. C’est aussi un travail sur la concentration ».
Lancé en 1993, le projet Cirquétudes est pionnier. Comme l’idée n’existait nulle part ailleurs, il a fallu tout inventer. Katia Manconi est présente depuis le début. « Je suis psychomotricienne à la base. Nous avons dû repenser la manière d’apprendre le cirque pour l’adapter aux jeunes enfants. Petit à petit, les séances ont été assimilées au programme global de l’école ». D’après Katia et ses collègues, les ateliers de cirque apportent éveil, ouverture d’esprit, graine de folie, décalage et autodérision à des élèves pas comme les autres.
Apprentissage en famille
Dans l’univers du cirque traditionnel, la formation se faisait (et se fait encore souvent) en famille. Chez les Bouglione par exemple, la gestion du cirque et l’univers artistique se transmettent dans le giron familial depuis les années 30. Même s’il s’apprend désormais à travers des filières d’enseignement diplômantes, le « nouveau cirque » a aussi engendré ses générations de « fils et filles de ». Très actifs à Bruxelles, Valentin Pythoud (La RuspaRocket) et son frère Maxime (Circoncentrique et Cirque Plume) sont les enfants de François et Nini, les directeurs de l’Elastique Citrique, à Nyon en Suisse. La fille de la fondatrice de l’Atelier du Trapèze à Schaerbeek, Sophie Mandoux, reconnaît avoir été influencée par l’univers de sa mère Nanou Peeters et de son beau-père Fill De Block. « C’est moi qui ai fait découvrir le trapèze à ma mère quand j’ai commencé à huit ans. A partir du moment où elle est tombée amoureuse de mon prof de trapèze, elle a adopté cette passion. J’ai complètement baigné dedans. Je faisais douze heures de trapèze par semaine ! Forcément, ça joue. Je m’entraînais avec mon beau-père chez moi. On allait voir des spectacles. A 12 ans, je voulais déjà en faire mon métier ».
Aujourd’hui, Sophie Mandoux a sa propre compagnie (Les P’tits Bras) où elle travaille notamment avec son compagnon Raphaël Gacon. Leur fils de deux ans grandit sur la piste aux étoiles. « On a un trapèze à la maison. Pour l’instant, il ne fait rien mais il nous suit partout ! Je pense que la différence avec le cirque traditionnel, c’est que c’est plus facile de se soustraire à cette culture. On n’est pas obligé de devenir professionnel. Mais le fait de voir son père et/ou sa mère épanoui(e) dans son métier, ça donne envie aux enfants de s’y frotter ! ».
SCRATCH Par la compagnie Acrobarouf
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