Notre capitale peut s’enorgueillir de compter l’une des écoles supérieures de cirque les plus courues au monde. Mais l’Esac ne s’endort pas sur ses lauriers : on y conjugue les défis au futur, parce qu’on y sait que la concurrence est rude et que le métier est en perpétuelle réinvention.
C’est l’échelon « cocorico » de la filière enseignement du cirque. Si l’Ecole Supérieure des Arts du Cirque de Bruxelles (Esac) suscite aujourd’hui les convoitises internationales, attirant des étudiants du monde entier, de la Suède au Brésil, elle ne s’est pas construite en un jour. Elle est le fruit de nombreuses, et parfois divergentes, passions circassiennes. Héritière de l’Ecole Sans Filet, fondée en 1981 par Vincent Wauters et inspirée de l’expérience menée par Annie Fratellini, elle a connu plusieurs mutations, passant de l’Enac en 1996, sous la houlette de Lisbeth Benout, à l’Esac, lancée puis dirigée par Philippe Haenen qui obtiendra, en 2003, la reconnaissance comme école supérieure officielle, alors que le lieu d’enseignement a posé ses pénates au Centre Scolaire du Souverain, à Auderghem.
En 2003, il n’existait que trois écoles supérieures de cirque en Europe, mais l’offre a presque quadruplé depuis, forçant l’Esac, aujourd’hui sous la direction de Virginie Jortay, à réaffirmer son identité. « Le but pédagogique de l’Esac est de ne privilégier ni l’artiste porteur de projet, ni l’interprète, mais d’accompagner les deux », explique la directrice. « Un étudiant qui vient aujourd’hui à l’Esac cherche une formation basée sur ce qu’il est, lui. La réputation de l’Esac, ce sont les étudiants qui la portent ». Manuel Martinez Silva est venu du Chili pour tenter l’école bruxelloise. Il est aujourd’hui en troisième et dernière année et reconnaît que le rythme est intense : « Je suis à l’école de 8h30 à 18h30 tous les jours. On a deux heures de spécialité par jour – moi, c’est le tissu – puis des cours d’acrobatie, d’équilibre sur les mains, de trampoline, de yoga, de théâtre, de danse, ou encore des cours théoriques sur l’anatomie ou l’histoire de l’art et du cirque », détaille celui qui rêverait, en sortant de l’école, d’intégrer une grande compagnie, comme les 7 Doigts de la Main ou le Cirque Plume.
Bon taux d’insertion professionnelle
Manuel peut être plutôt confiant puisque c’est là l’un des principaux atouts de l’Esac : un très bon taux d’insertion professionnelle, ce que confirme sa directrice : « Il y a 10 ans, on était une des rares écoles à offrir un Bachelor. Aujourd’hui, on est une des rares écoles à offrir un bon taux d’insertion professionnelle. Sans doute parce que nous formons des artistes très polyvalents, qui ont beaucoup de cordes à leur arc, en interprétation et en technicité. En général, ils sont assez humbles aussi, ce qui rajoute des qualités humaines aux qualités artistiques ». Mais Virginie Jortay reconnaît également des manques, en particulier au niveau de l’espace, pour pouvoir accueillir les anciens et être plus en phase avec la création. Manques qui devraient être en partie comblés quand l’Esac déménagera sur le campus du Ceria à Anderlecht, en septembre 2017. « Attention ! Nous ne voulons pas non plus atteindre une espèce de monopole avec une position dominante qui fige les étudiants. L’Esac n’est qu’un moment dans leur parcours, et il est important qu’ils aillent voir ailleurs, apprennent encore après nous ».
C’est dans cette optique que l’Esac travaille, avec le Ministre de l’Enseignement supérieur Jean-Claude Marcourt, à l’élaboration d’un Master, en deux ans, qui serait assorti d’un volet pédagogique. « L’idée n’est pas d’enchaîner un Master au Bachelor. Au contraire, il faudrait comptabiliser au moins cinq ans de pratique professionnelle avant de pouvoir s’inscrire. Les étudiants doivent pouvoir partir, faire leur vie, et éventuellement revenir chez nous, riches de cette expérience, pour alors prendre le temps de la recherche. On voudrait créer ce Master selon la logique d’un art nomade, pour que les étudiants, grâce à des partenaires européens, puissent réaliser une immersion de deux mois à Stockholm ou une autre à Madrid, qui compteraient comme modules pour valider les 120 crédits de leur Master ». Pour l’instant, l’Esac se concentre sur ses 50 étudiants, répartis sur les trois années de Bachelor, et comptant encore peu de Belges dans ses rangs. Si le projet d’ouvrir une autre école supérieure belge à Gand traîne encore vaguement dans les cartons, peu y croient vraiment. « Le monde du cirque n’a certainement pas besoin d’une nouvelle école qui serait le copié-collé des autres », nous confirme Koen Allary, directeur du Circuscentrum à Gand. « A moins peut-être que ce soit une école qui s’ouvre sur les performing arts par exemple. Et encore… ». Virginie Jortay partage son scepticisme : « Il serait dommage d’installer une concurrence dans une zone géographique si petite ».
Le regard européen de la Fedec
La Fedec (Fédération Européenne des Ecoles de Cirque professionnelles) a beau être sise à Bruxelles, pas question d’être prise en flagrant délit de favoritisme ! « Nous intervenons à la demande de nos membres et ce n’est pas parce que nous sommes situés à Bruxelles que nous allons interférer dans les actions de nos membres belges », précise gentiment Danijela Jovic, coordinatrice depuis 2009 de la Fedec. Avec dans son giron 41 écoles et 13 organisations liées aux arts du cirque, la fédération a pour vocation principale le soutien au développement de la pédagogie et de la création dans le domaine des arts du cirque. « On nous appelle pour des expertises, des études, des conseils pour créer une école ou obtenir une reconnaissance officielle. Nous témoignons au niveau européen et international de l’évolution des arts du cirque ». C’est avec ce recul que la Fedec a notamment réalisé une étude sur la mobilité : « Il ressort de cette étude que beaucoup d’artistes s’installent à Bruxelles parce qu’ils sont alors à un carrefour stratégique entre Paris, Londres, Amsterdam, etc., mais aussi parce que le coût de vie y est moins élevé ». Si Danjiela Jovic pointe d’autres atouts bruxellois, comme le bon niveau d’employabilité, elle constate un climat européen peu favorable : « On assiste à une baisse généralisée des aides et à une paupérisation des artistes. Le boom des écoles supérieures s’est fait avant. Dans le contexte économique actuel, je ne suis pas sûre qu’un projet comme l’Esac aurait pu voir le jour ! Comment la Belgique va-t-elle contourner cette fragilisation qui touche toute l’Europe ? ».
SCRATCH Par la compagnie Acrobarouf
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L'auteur.e de l'article
Catherine Makereel
Journaliste indépendante (Le Soir).