On entre à pas de loups dans le petit chapiteau du Théâtre d’1 jour, on se répartit au hasard des bancs de bois qui entourent la minuscule piste, visages déjà tendus vers l’inattendu. On papote, les coudes se touchent, on se serre. La magie de l’instant a déjà opéré. Les lustres anciens s’éteignent, le noir se fait. A-t-on fermé les yeux ? Est-on tombé de l’autre côté des songes ? « Strach, a fear song » va nous emmener dans une nuit où tout est possible : une nuit en corps et en musique qui ne nous laissera pas repartir tels que nous étions arrivés.
En clair-obscur, à la belle lueur d’une bougie, s’esquisse le visage d’une femme (Airelle Caen) à la voix d’enfant qui raconte les peurs de la nuit et la force de les vaincre – la force du « cowboy rouge », qui vaut bien celle de la Diotime de Bauchau. Une voix bientôt rejointe par celle de la soprano Julie Calbete, invitation au voyage, sans retour, pour l’émotion à fleur de peau, soutenue par le piano de Jean-Louis Cortès, en bord de piste. Ombre et lumière, nuit et voix d’ange : tout est déjà là pour nous harponner au cœur.
Et le cirque ? Le voici, sans délai. Denis Dulon et Guillaume Sendron viennent former le triangle avec Airelle Caen, voltigeuse du trio. Leur main-à-main (forgé notamment au sein de la compagnie XY) frappe l’esprit, vissé comme une image venue des forêts, sur la surface d’une souche. Bientôt le trio quitte ce cercle magique pour nous toucher ou presque. Un simple masque porté au sommet du crâne et voici les deux acrobates masculins mués en loups qui envahissent l’arène, chargeant la dormeuse, rageant, flairant les premiers rangs. Si l’image secoue (de rire ou de frayeur ; le spectacle n’est pas conseillé avant 14 ans d’ailleurs), toute la grâce de Strach est de varier tension et douceur, créant une connivence intense. Une vibration collective, bouleversante, lorsque la soprano elle-même se glisse dans les mouvements, et qui culmine avec l’invitation faite à plusieurs spectateurs de se glisser dans le bal, de participer au main-à-main, comme un rituel oublié. On rit, on frémit, on vit : le cirque nous réunit.
Le metteur en scène et auteur Patrick Masset, passionné par le mélange des genres, rêvait depuis longtemps de la rencontre du cirque et de l’art lyrique. Déjà esquissée dans L’enfant qui (2008) entre une musicienne et un porteur, l’intuition remonte en fait à la fin des années 90, lors du travail avec la compagnie Vent d’Autan. « J’ai mis 20 ans pour trouver l’équipe », sourit le metteur en scène. Personne ne lui reprochera sa ténacité.
-> Vu le 15/03 au Festival UP!, Parc Victoria, à Koekelberg.
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L'auteur.e de l'article
Laurent Ancion
Laurent Ancion est rédacteur en chef du magazine « C!RQ en Capitale ». Critique théâtral au journal « Le Soir » jusqu'en 2007, il poursuit sa passion des arts de la scène en écrivant des livres de recherche volontiers ludiques et toniques. Il est également conférencier en Histoire des Spectacles au Conservatoire de Mons et musicien.