Le premier numéro du magazine se faisait l’écho de la loi belge interdisant l’usage des animaux sauvages dans les cirques. Théo, 15 ans, m’ennuie (1) avec une question assez pertinente : « Mais alors, qu’est-ce qu’ils ont fait avec ? ». Il fallait consulter l’oracle : Bouglione.
Jaune, rouge, 42 mètres de diamètre, des gradins pour 1200 personnes : le chapiteau Bouglione ne passe pas inaperçu, à quelques dizaines de mètres de l’Atomium, là où « Tziganes », le nouveau spectacle de la troupe, se propose de nous dégeler les mirettes en ce dimanche de pré-hiver. « Ça sent la bête » (sic), commente une spectatrice en pénétrant sous la vaste toile. D’abord, ça sent plutôt le pop-corn. Ensuite, ça ne sent plus tant la bête que ça : suite à la loi du 28 février 2014, les cirques et expositions itinérantes n’ont plus le droit d’utiliser des animaux sauvages en Belgique.
Jusqu’il y a peu, Alexandre Bouglione présentait un numéro de dressage rare en Europe, avec un cortège de pumas, panthères et jaguars. Le temps a fait le reste : ce dimanche, il dirige, à la double chambrière, quatre chameaux à bosses molles.
Perroquets volants au-dessus des gradins, lamas sympathiques (on dirait des moutons), chiens plutôt zinneke (on apprendra qu’ils viennent de la S.P.A.), cheval et poney : la ménagerie a quelque chose de familier qui, sans réconcilier avec l’exercice, en diminue l’apparente cruauté. On évoquera plus rapidement le traitement réservé à l’humain, sexisme évident et costumes rikiki pour les dames, lancer de couteaux d’un autre âge et, à souligner, prouesses acrobatiques franchement convaincantes, pour répondre à Théo : « Oui bon mais alors, qu’ont-ils fait de leurs bêtes sauvages ? » (bien qu’il avait oublié la question, trop occupé à admirer « Laserman » le clou du spectacle qui manie les faisceaux sur de la techno).
Manger ou être mangé : tel est le principe de la chaîne alimentaire. Telle est aussi la loi des spectacles qui vivent principalement des recettes de billetteries (et de pop-corn donc). Pour Alexandre Bouglione, la nouvelle loi est tout d’abord… « une bonne nouvelle » : elle a écarté la concurrence étrangère. Les « gros » cirques venus d’Allemagne ou de France – où l’usage des fauves est toujours permis – ne peuvent plus jouer sur notre territoire. Dans les faits, Bouglione était l’un des derniers cirques à avoir des animaux sauvages « à demeure » sur le sol belge. On l’ignore souvent, mais les troupes « louaient » fréquemment les numéros de fauves, venus d’Angleterre ou des Pays-Bas : ils n’avaient tout simplement déjà plus de fauves du tout – ils les empruntaient.
Chez Bouglione, il restait deux éléphants et trois jeunes tigres, nés au cirque. Ils broutent tranquillement aujourd’hui au Monde Sauvage d’Aywaille. Les vielles panthères sont mortes « en paix » en 2013, au cirque. « Nous sentions le vent venir », explique Alexandre Bouglione. « Je pense que nos animaux étaient bien, mais c’est mieux comme ça. On n’arrivait plus à suivre toutes les exigences des nouveaux règlements. Il ne faut pas se voiler la face, les bêtes sont mieux au zoo, elles ont plus de place ».
Sous la pression du temps, les mentalités changent. Ne reste plus qu’à faire évoluer un autre animal : l’Homme (et son machisme scénique). Mais on dit qu’il a la dent dure.
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[1] Il a bien le droit, je suis son père.
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L'auteur.e de l'article
Laurent Ancion
Laurent Ancion est rédacteur en chef du magazine « C!RQ en Capitale ». Critique théâtral au journal « Le Soir » jusqu'en 2007, il poursuit sa passion des arts de la scène en écrivant des livres de recherche volontiers ludiques et toniques. Il est également conférencier en Histoire des Spectacles au Conservatoire de Mons et musicien.