La roue Cyr

Jan/Fév/Mars 1970

Agrès récent, la roue Cyr n’a même pas 15 ans ! Ce grand « cerceau » à taille humaine tourne sous l’impulsion de son manipulateur… et fait tourner bien des têtes. Indiscutablement à la mode, la technique est abordable pour les acrobates dans l’âme, dont le cercle grandit sans cesse.

Sur sa carte d’identité, la roue Cyr se présente comme un tube en forme de cercle, souvent en inox, robuste et plutôt léger. L’agrès pèse de 10 à 16 kg, est démontable et peut carrément se transporter dans un (grand) sac. Selon certaines sources, l’invention de la roue comme outil acrobatique remonterait aux temps de la dynastie chinoise Tang, vers l’an 700. L’objet disparaît ensuite totalement des pratiques, pour ressurgir sous différentes variantes, dont la roue « allemande » (deux grands cercles métalliques reliés par des petites barres intérieures) au début du XXe siècle. En 2003, Daniel Cyr, cofondateur du Cirque Eloize (Québec), présente une recherche nouvelle et popularise à nouveau l’agrès, qui acquiert son nom. Depuis, la mode a fait le reste : on voit des roues dites « Cyr » partout et la technique est enseignée dans la plupart des écoles supérieures de cirque à travers le monde.

Peu de prérequis sont nécessaires. Un bon sens de l’équilibre et de l’acrobatie, ainsi qu’une bonne condition physique, facilitent la rencontre avec la roue qui se déplace dans l’espace allègrement. On y entre et tournoie seul ou à plusieurs. La chorégraphie joue à l’infini. Seuls bémols : les sols glissants sont à proscrire, de même que la rocaille bien sûr, qui entrave à la fluidité. Pour le reste, l’usage a quelque chose d’intuitif : « Une fois qu’on a compris la roue en mouvement, c’est facile comme le vélo : ça ne s’oublie pas ! », assure – sérieusement – le circassien Maxime Pythoud. « Au début, la tête tourne, puis ton corps s’adapte. En fait, c’est plus facile que la jonglerie (où tu as toujours une chance sur cinq de voir une balle tomber) et moins dangereux que l’acrobatie (où les coups sont plus durs). Cela me fait penser aux sensations d’un sport extrême, comme le surf. On tournoie dans des positions hallucinantes à une grande vitesse de rotation, mais c’est un vertige sécurisant ». Un agrès sans risque ? « Il est limité : s’écraser les doigts ou envoyer la roue n’importe où ».

Partir en transe

Contaminé par le cirque dès son plus jeune âge, formé à la jonglerie, à l’acrobatie et au main-à-main, c’est à 17 ans que Maxime Pythoud a flashé sur la roue Cyr. Il l’a découverte avec le Cirque Eloize, invité à L’Elastique Citrique, l’école de ses parents, à Nyon, en Suisse. « J’ai travaillé seul pendant un an avant de me présenter à l’Esac où il n’y avait pas encore de roue Cyr. J’ai travaillé pendant trois ans sous l’œil extérieur de Sven Demey, gymnaste de formation, qui a une vision dynamique du corps. Peu de figures et de techniques existaient. Nous disposions des pas de base : tourner la roue, sortir les jambes, lâcher un bras, être en suspension, grimper… Mais il fallait aller plus loin, inventer des figures et des enchainements ».

Considéré comme l’un des « maîtres du genre », Maxime Pythoud tourne actuellement avec le Cirque Plume (« Tempus Fugit »), ainsi qu’avec sa première création personnelle, (« Respire »), un duo avec Alessandro Maida à la boule d’équilibre. « La roue me permet d’explorer des décalages, de jouer ‘à contre-courant’, de tournoyer sur des envolées musicales. On peut carrément partir en transe avec cet agrès ! La roue reste un art expérimental. Il est essentiel de chercher par soi-même, sans se gaver des vidéos du genre qui abondent sur le Net ».

Car aujourd’hui, la roue Cyr est « à la mode ». « Avec un risque de saturation des mêmes figures », regrette Alexander Vantournhout, un autre virtuose qui marie danse contemporaine et roue Cyr (lire ci-contre). La solution ? Inventer son propre langage. « La roue est avant tout une question d’équilibre », explique Claudia Franco, qui « adore pratiquer la roue en robe » (et en grande finesse). « Après, c’est de l’entraînement. Comment investiguer la technique dès que la base est acquise ? C’est le plus difficile, comme pour tout agrès de cirque. Cela demande de la patience et l’écoute de son corps. Heureusement, la roue Cyr est une nouvelle discipline sans technique figée et rigoureuse. Si ‘YouTube’ est un bon prof, l’agrès donne la liberté au circassien d’en faire une technique personnelle au gré de ses mouvements et de sa recherche ». Alors, toupie or not toupie ? De l’avis général, la roue a l’avenir devant elle si elle ne tourne pas en rond et continue à se réinventer.

 

« Respire », à voir le 20/02 au Centre culturel ‘C-mine’, à Genk, www.c-minecultuurcentrum.be. Le 29/03 au Centre culturel Stroming, à Berlare, www.berlare.be. Infos : www.circoncentrique.com.

 

Où voir de la roue Cyr prochainement à Bruxelles ?

« Traces» de la Compagnie Les 7 Doigts de la Main, les 6 et 7 février au Théâtre Wolubilis, www.wolubilis.be.

L'Oeil du Maestro

Sven Demey, gymnaste de formation, est un des premiers enseignants de la roue Cyr à Bruxelles, auteur en 2007 d’un manuel pédagogique consacré à l’agrès. Professeur à l’Ecole Supérieure des Arts du Cirque (Esac), il a formé plusieurs circassiens-pionniers, tels que Maxime Pythoud, Alexander Vantournhout ou Ghislain Ramage « qui ont à leur tour inspiré toute une génération et prennent la relève en élargissant la roue à d’autres idées, techniques et approches ».

« Oui, la roue Cyr est populaire, accessible à un grand public et exige un bon sens de l’équilibre », confirme l’entraîneur. « La technique n’appartient à personne. C’est ce qu’on ‘fait avec’ qui compte. Sur le web, on trouve beaucoup de partages sur cette discipline. C’est une bonne chose pour l’apprentissage de la technique. Tant pis pour ceux qui essayent juste de copier, de ‘faire sans être’ ».

Dans l’œil du maestro ? « Un bagage gymnique et/ou dansant peut aider. Le début est toujours un peu difficile à cause des rotations et du déséquilibre constant. Au moment où on trouve son équilibre dans ce déséquilibre, la fête des possibilités infinies peut commencer ».

MODE D’EMPLOI

DEMI-PIROUETTE DANS LE SENS DE LA ROUE

Diplômé de l’Esac, puis de Parts (l’école de la chorégraphe Anne Teresa De Keersmaeker), Alexander Vantournhout est l’auteur d’une série de spectacles qui le placent en proue du cirque de recherche. Face à l’objectif de Jonathan Steelandt, il réalise et analyse pour nous une « demi-pirouette ».

  1. Je démarre et tourne sur un axe vertical, puis j’éloigne mon bassin de cet axe. Ce déséquilibre amène l’accélération, comme quand dans un tournant à vélo.
  2. Je lâche le bras gauche et la jambe droite, le tronc et la jambe gauche formant l’axe. La roue poursuit son accélération. Mon corps se tord en « spirale ».
  3. Je récupère la roue avec la main gauche pour garder la vitesse. La jambe droite, en « retard » car éloignée de l’axe, poursuit la demi-pirouette spiralée.
  4. J’ouvre davantage la jambe droite vers le côté pour amorcer la décélération. La main gauche opère une touche douce, pour ne pas changer la direction.
  5. La pirouette s’achève en descendant, comme en danse. Le pied droit effleure presque le sol. Le point de gravité descend : sans relance, la roue s’arrête.

 

Alexander Vantournhout tourne actuellement avec « Caprices » : le 21/01 à Turnhout, le 30/01 à Beveren-Waas, le 7/02 à Tilburg (NL), le 21/02 à Koksijde, le 27/02 à Lokeren, le 20/03 au Festival Spring de La Brèche, à Cherbourg (F),… Voir www.alexandervantournhout.be.

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L'auteur.e de l'article

Laurent Ancion

Laurent Ancion est rédacteur en chef du magazine « C!RQ en Capitale ». Critique théâtral au journal « Le Soir » jusqu'en 2007, il poursuit sa passion des arts de la scène en écrivant des livres de recherche volontiers ludiques et toniques. Il est également conférencier en Histoire des Spectacles au Conservatoire de Mons et musicien.