Le regard du sage, Antoine Rigot

Oct/Nov/Déc 2016

Un corps blessé peut-il inspirer d’autres chemins de création ? « J’ai trouvé en moi une énergie que je ne soupçonnais pas », répond Antoine Rigot, metteur en scène et acrobate de la compagnie Les Colporteurs, dont la vie a basculé en 2000. Depuis, il réinvente chaque jour son nouvel envol.

On est tous funambules dans la vie. À chacun la tâche de trouver l’équilibre entre ce qu’il est et ce qu’il vit. Pour Antoine Rigot, cette traversée tient à un fil. En 2000, lors d’une répétition improvisée sur la plage, il fait une chute brutale qui le laisse paralysé. « Quand c’est arrivé, je savais qu’un jour je remarcherais, mais je savais aussi que c’était trop cassé pour redevenir comme avant. » S’engage alors une lutte avec son propre corps, à l’encontre de tous les pronostics médicaux. Aidé de 25 ans d’acrobatie derrière lui, il parvient peu à peu à se remettre debout. Un combat contre l’immobilité qui a nourri les créations suivantes, dont Le fil sous la neige et Sur la route de sa compagnie Les Colporteurs. Alors qu’il prépare Sous la toile de Jheronimus, dont la première aura lieu en octobre au Festival Circolo aux Pays-Bas, Antoine Rigot remonte le fil de son parcours.

Un corps blessé peut-il inspirer d’autres chemins de création ?

Chacun son histoire. Moi, j’ai trouvé en moi une énergie que je ne connaissais pas. J’étais un acrobate qui faisait des sauts périlleux sur un fil et tout ça s’est arrêté d’un coup. D’abord, on avance au jour le jour, on essaie de récupérer. Et puis, il y a les autres. J’ai été sollicité très vite, notamment par Giorgio Barberio Corsetti, qui préparait un spectacle sur les métamorphoses. Je suis devenu assistant, consultant. Finalement, ça m’a propulsé plus vite que prévu à l’extérieur de la piste, à l’écriture et à la mise en scène. En même temps, je travaillais la rééducation comme un fou. Je recommençais à faire quelques pas et j’ai eu envie de me mettre en scène de manière plus intime.

Alors que le fil est une expérience plutôt solitaire, l’accident vous a emmené vers une approche plus collective ?

Après l’accident, des jeunes sont venus me demander de leur transmettre mon expérience. Du coup, on a organisé des rencontres sur le fil. Je les remercie parce qu’ils m’ont bousculé pour que je me frotte à nouveau au fil. C’est en mélangeant tous ces fils qu’on s’est rendu compte du potentiel énorme. Dans Un fil sous la neige, il y avait une toile de huit cordes superposées. Puis, mon histoire a été la base du travail : comment remarcher sur le fil de la vie. Même si le désir était là avant, l’accident a donné un sens à cette idée, l’a rendue essentielle.

On assimile encore le cirque à des corps athlétiques, parfaits mais, n’est-ce pas aussi le lieu des profils hors normes ?

Il y a toujours eu cette dualité. D’un côté, on montre des femmes splendides en justaucorps échancré et des hommes musculeux en collant, mais de l’autre, le monstre, les corps étranges ont aussi leur place. Le cirque contemporain rééquilibre tout ça en montrant des corps qui peuvent se dépasser, être beaux, poétiques, sans être dans la norme. Le surhumain et le monstre se mélangent de manière plus pudique.

La blessure pousse-t-elle à accomplir des prouesses plus spectaculaires encore, à dépasser d’autres limites ?

Avec ou sans accident, la vie d’un circassien est dure. Vivre toute sa vie de ce métier n’est pas facile. Un circassien frôle sans cesse ses limites. L’âge avançant, il comprend ce qu’il peut encore faire sans s’abîmer. C’est la même chose pour moi. A un moment, on se pose la question sur la vie qu’on veut avoir. Parfois, faire des spectacles m’a fait beaucoup plus progressé que la kiné. On est tellement ignorant sur les ressources de notre propre corps. Pour avancer, il faut surtout être bien dans son énergie et être bien là où son corps déclenche des choses. C’est presque une recherche spirituelle. Je n’attends rien de précis mais je laisse la porte ouverte. Pour qu’il y ait des avancées, il faut être en harmonie avec la vie qu’on veut vivre. C’est un jeu d’équilibre. Plus on est apaisé, plus on est disponible pour sentir ce qu’il faut faire pour avancer physiquement, mais aussi artistiquement.

La compagnie Les Colporteurs présente Sous la toile de Jheronimus du 21 au 30/10 au Festival Circolo, à Liempde (Pays-Bas) ; www. festivalcircolo.nl

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L'auteur.e de l'article

Catherine Makereel

Journaliste indépendante (Le Soir).