Exposés à une vie quotidienne faite de barrières et de check-points, les acrobates palestiniens Fadi Zmorrod et Ashtar Muallem, qui ont grandi à Jérusalem, explorent avec « B-Oders » la possibilité d’un corps libre. Le langage du cirque vient en renfort quand tout pousse à se claquemurer.
« Mon téléphone ne marche pas bien en Cisjordanie », nous prévient Fadi Zmorrod sur Facebook quand nous prenons contact avec lui. D’emblée, avant d’avoir écouté un mot de son témoignage, nous saisissons l’ampleur de l’isolement que subit ce circassien palestinien né à Jérusalem. Ce sont justement ces restrictions, mais aussi les tensions politiques, l’instabilité permanente ou l’ouverture aléatoire des « check points », qu’explore son spectacle B-Orders, créé en 2014 avec Ashtar Muallem.
« Nous marchons sur des lignes qui ont été dessinées pour nous », explique le duo. « Nous vivons dans des moules fabriquées par l’accumulation de l’Histoire. » Tous deux investis dans l’Ecole de Cirque de Palestine, ils tracent avec leur corps des chemins d’émancipation à travers une vie cloisonnée par toutes sortes de frontières politiques, géographiques, familiales et sociales. Car B-Orders ne tacle pas seulement les problèmes liés à l’occupation israélienne mais aussi le conditionnement sexiste de leur propre culture et éducation, les codes religieux qui dénigrent la place de la femme dans la société, pour ne pas réduire l’image de la Palestine au seul conflit et montrer d’autres images que les clichés médiatiques. Mât chinois, tissu aérien, danse : leur corps est devenu leur voix. « Certains savent écrire, moi, je préfère bouger. C’est mon moyen d’expression », lance Fadi Zmorrod. « Ça n’a rien de politique. C’est juste ma vie, ce que je vis tous les jours. Comme je viens de Palestine, les restrictions que je vis deviennent politiques aux yeux du monde. Mais ça se passe ailleurs aussi. »
Échapper au chaos
Après avoir étudié et obtenu son diplôme à l’Ecole de Cirque Vertigo en Italie en 2012, Fadi a tenu à revenir à l’Ecole de Cirque de Palestine, pour y enseigner, y créer B-Orders, et participer à l’essor des arts vivants dans cette région malmenée. Aujourd’hui, il fait des allers-retours entre l’Europe – où il a notamment joué dans Badke des Ballets C. de la B. – et la Palestine où il continue d’entraîner les jeunes élèves des écoles de Birzeit ou Ramallah. « Je veux continuer à faire vivre ces endroits. Donner de l’espoir, de la beauté, des défis à chacun de ces enfants. J’ai une petite pierre à apporter à cette Ecole de Palestine, un endroit où on peut échapper au chaos, se concentrer, se trouver et être accepté. Nous avons besoin de plus de gens pour changer cet endroit. Si je pars, ça fait un entraîneur de moins. » Son dévouement est sans faille malgré des conditions de travail parfois harassantes. « Sous le toit de notre chapiteau, on entend les bruits de la ville, l’appel de la mosquée, les cloches de l’église. Un jour, pendant qu’on répétait B-Orders, les Israéliens sont entrés dans une maison et ont tué un adulte. On entendait les cris, les bombes lacrymogènes, le mégaphone d’une voiture qui annonçait qu’ils fermaient la zone pendant trois jours. C’est stressant mais jouer de notre corps permet de confronter nos limites, nos peurs. De nous confronter à nous-mêmes. C’est physique mais ça fait du bien au mental. »
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L'auteur.e de l'article
Catherine Makereel
Journaliste indépendante (Le Soir).