Lennert, explorateur de l’âme

Oct/Nov/Déc 2016

L’an dernier, à l’orée de ses 30 ans, Lennert Vandenbroeck rejoignait Cape Town, en Afrique du Sud, pour travailler comme coach à Zip Zap, une école de cirque qui change le destin de centaines de jeunes depuis 1992. Et c’est lui qui en est revenu métamorphosé.

Attablé à la terrasse d’un café bruxellois, Lennert Vandenbroeck a des étoiles plein ses yeux bleus. Dans un grand sourire, il irradie d’énergie lorsqu’il évoque l’année qu’il vient de traverser et qui pourrait bien l’avoir changé à jamais. « J’entame une nouvelle vie », affirme d’emblée le circassien – et on est tout disposé à le croire.

Pas étonnant que ce soit à Cape Town, dans les townships rudes et blessés de la pointe sud du continent africain, que la vie de l’acrobate a pris un nouveau tournant. Depuis l’enfance, ce souriant natif de Wespelaar, près de Haacht, savait qu’il partirait un jour vers le Sud, comme bénévole. Tout cela grâce à un éléphant… en chocolat. « Quand j’avais 8 ans, les parents d’un camarade de classe étaient partis en Afrique du Sud et avaient ramené un énorme éléphant en chocolat. J’ai été très impressionné, même si on n’avait pas eu le droit de le manger ! ». L’appel du sucre n’est bien sûr pas seul responsable de l’engagement de Lennert. Une maman travaillant dans le social et un papa producteur de télévision qui rêvait de lancer un programme éducatif au Burkina Faso, voilà qui aide à voir plus loin que le bout de son nez.

« Après ma sortie de l’Esac, j’ai travaillé dix ans comme acrobate, avec le Duo Leo et avec la compagnie Rasposo. J’ai habité Bruxelles, puis en Flandre, et j’ai eu soif d’un nouveau défi. » Par une amie, Lennert apprend que l’école de cirque social Zip Zap, créée à Cape Town en 1992 par Brent van Rensburg et Laurence Estève, cherche un coach. L’Afrique du Sud… L’acrobate n’attend pas une seconde. Il laisse la Belgique et fonce. Le choc sera rude et fécond. « Les élèves de Zip Zap sont âgés de 6 à 25 ans. Certains viennent d’un milieu assez aisé, d’autres sont exposés à un quotidien extrêmement dur. La vie dans les townships est soumise à la violence, au dénuement, à la débrouille totale. L’apartheid a été supprimée il y a 20 ans, mais les séparations physiques ou symboliques restent très fortes entre riches et pauvres, entre noirs, blancs et ‘coloured’,… »

Récompensé par les plus hautes sphères de l’Etat, soutenu (vaille que vaille) par un vaste réseau de donateurs, le travail de Zip Zap démontre ses vertus depuis 25 ans, ouvert gratuitement à tous, carrefour de rencontre. « L’effet est incroyable. On voit des jeunes gens se métamorphoser. Le cirque comme outil social, c’est merveilleux », résume Lennert. « On travaille la confiance en soi, la mobilité physique, la force, la cohésion du groupe, l’entraide, la capacité à faire spectacle,… Les atouts que cherchent les nouvelles pédagogies sociales, le cirque les a déjà ! C’est pour cela qu’à travers le monde, les écoles de cirque social poussent comme des champignons et que ça va continuer. »

 

Au rythme du cœur

À Zip Zap, Lennert s’investit à fond, se découvre des capacités de direction de numéros, suit d’incroyables destins au quotidien. Il se rend compte aussi qu’il absorbe tout comme une éponge. « Parfois, je me sentais frustré. Je négligeais mes envies artistiques. J’avais envie d’aider beaucoup plus les jeunes, de les soutenir dans l’ensemble de leurs défis. Mais pour cela, j’aurais dû me former comme psychologue ou assistant social. » Il aurait pu faire ce choix. Il en fera un autre : fin 2015, il revient en Belgique, pour tenter une aventure nouvelle. « Grâce à Zip Zap, j’ai découvert que mon rêve était de créer un pont entre développement personnel et création artistique », se réjouit-il. Féru de kinésiologie, Lennert a observé combien cette approche pouvait libérer les corps et l’imaginaire. « À présent, je veux aider les autres circassiens à accéder à leur propre imagination. J’ai vu comment ces approches de développement de soi transformaient les jeunes en Afrique. Je suis convaincu que cela peut faire du bien à tous ». Il joint le geste à la parole en bâtissant sa Pacemaker Company sur ce credo. Un nouveau voyage qui vaut assurément son pesant de chocolat.

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L'auteur.e de l'article

Laurent Ancion

Laurent Ancion est rédacteur en chef du magazine « C!RQ en Capitale ». Critique théâtral au journal « Le Soir » jusqu'en 2007, il poursuit sa passion des arts de la scène en écrivant des livres de recherche volontiers ludiques et toniques. Il est également conférencier en Histoire des Spectacles au Conservatoire de Mons et musicien.