Le moment est venu de se graver un cœur au creux du biceps : les Argonautes, au nom inspiré des intrépides marins de la mythologie grecque, fêtent leur vingt ans. Belle endurance pour un équipage qui n’a pas cessé de se réinventer depuis « La Toison d’Orgue », créé en 1995.
En des temps héroïques, 50 Argonautes aidèrent Jason à s’emparer de la Toison d’Or au nez et à la barbe d’un dragon. Quelques millénaires plus tard, en 1995, un collectif également très musclé allait à sa façon réinventer l’histoire. Nous n’étions pas en Grèce antique, mais en Belgique, au temps mythologique de l’essor du « nouveau cirque ». Pionniers, intrépides et parfaitement mal-informés, quatre jeunes gens allaient réinventer la piste comme d’autres inventent le cuberdon : sans le faire exprès.
La recette leur a visiblement réussi. Vingt ans plus tard, la compagnie des Argonautes est toujours là, en pleine forme, avec un spectacle en tournée (« Solo Due ») et un autre en création (« Entre d’eux », à découvrir en avril aux Halles de Schaerbeek). Une santé qui étonne l’équipe elle-même : « Savoir comment tout a commencé n’a aucun intérêt. La vraie question, c’est pourquoi ça dure ! », résume habilement Etienne Borel, l’un des membres fondateurs. C’est bien la question qui va nous intéresser : par quelle diablerie devient-on l’un des collectifs de cirque le plus endurant de Belgique ?
La réponse tient sans doute dans le seul secret des couples qui durent : la capacité à se réinventer. Pas de routine chez nos aventuriers. Pas de plan de route. Et pas de décision qui ne soit unanime. « Chez les Argonautes, on ne dit jamais oui ou non. On attend que tout le monde soit d’accord », rigole très sérieusement l’équipe. Ce principe de plaisir a fondé le collectif. Nos « Argonautes » se sont rencontrés autour de l’Ecole de Cirque de Bruxelles qui, au début des années 90, dispensait la seule formation artistique professionnelle en Belgique – seul arbre d’une forêt où tout était à inventer. Alchimiques, quelques étudiants (Christian Gmünder, Etienne Borel, Claude Barbosa) et leur professeur de jonglerie (Philippe Vande Weghe) vont pondre 40 minutes de spectacle en un week-end. Le feu prend : « Il y avait une intensité rare, un truc bouillonnant », rapporte Benjamin Bernard (dit Benji) qui rejoindra le groupe quelques années plus tard. « Pour le spectateur que j’étais alors, c’était évident que le groupe allait faire son chemin ».
Le public ne tardera pas à s’en rendre compte. Avec l’aide magique de Louis Spagna, cinquième Mousquetaire et metteur en scène de la plupart de leurs spectacles, les Argonautes vont dégainer « La Toison d’Orgue » (1995) puis « Zouff ! » (1998), deux créations fondatrices de la philosophie artistique de la bande : « Raconter des situations à travers des personnages, susciter des émotions qui dépassent la prouesse technique », note Philippe Vande Weghe. Sans oublier un humour doux-dingue et une capacité immédiate à fédérer tous les publics.
L’art de faire ce que l’on aime
Le succès use parfois les troupes. Un bide les resserre. En 2001, « Le principe d’incertitude » ne décolle pas. « L’alchimie qui avait fonctionné jusqu’alors a été perdue », observe Etienne Borel. La remise en question qui s’impose alors, doublée du succès de la tournée de « Zouff ! » (durant laquelle arrive Benji), sera peut-être le gage de la qualité de la suite : les Argonautes se réinventent. Etienne Borel fait un solo (« La fleur vide », en 2005) et chacun prend un peu le large, sans quitter le navire. En 2007, les « retrouvailles » seront célébrées avec « Pas perdus », spectacle merveilleux de drôlerie et de dextérité. « On devait savoir si on s’aimait encore. La réponse était oui », sourit Christian aujourd’hui. Le public est au diapason.
Depuis lors, l’invention est partout. Etienne Borel et Benji réalisent à deux « Solo Due » en 2014, tandis qu’en ce printemps 2015, Philippe Vande Weghe met en scène « Entre d’Eux »… sans aucun de ses camarades. « Chez les Argonautes, on ne te demande pas de faire des choses : c’est toi qui proposes », souligne Christian. « Solo, duo, quatuor,… Les Argonautes continuent leur métamorphose. On est dans un lien réciproque de confiance… ou d’irresponsabilité ! ». Si les Argonautes grecs avaient la Toison d’Or pour Graal, chez nos quatre Mousquetaires, quel nom pourrait porter le trophée ? « La liberté », répondent-ils en chœur. On avait presque deviné.
« Entre d’Eux », les 24 et 25/04 aux Halles de Schaerbeek, à Bruxelles, 02 218 21 07, www.halles.be. « Solo Due », en tournée. Site : www.argonautes.be.
SCRATCH Par la compagnie Acrobarouf
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L'auteur.e de l'article
Laurent Ancion
Laurent Ancion est rédacteur en chef du magazine « C!RQ en Capitale ». Critique théâtral au journal « Le Soir » jusqu'en 2007, il poursuit sa passion des arts de la scène en écrivant des livres de recherche volontiers ludiques et toniques. Il est également conférencier en Histoire des Spectacles au Conservatoire de Mons et musicien.