Sans les mains, mais avec beaucoup de cœur

Jan/Fév/Mars 2016

Sur la piste d’un monde plus juste, Circus Zonder Handen se définit comme une « école de cirque d’insertion sociale ». Chaque semaine, elle accroche un public de plus de 800 jeunes Bruxellois. Mohamed El Mokhtar, 16 ans, y a grandi et fait aujourd’hui partie de l’équipe d’animation.

Il a le look et la dégaine d’un adolescent ordinaire, en plus affable. Mohamed El Mokhtar, 16 ans au compteur (dont déjà 10 de cirque !), a trouvé le temps de nous rencontrer malgré un emploi du temps de ministre : entre l’école (en 4e année), l’équipe de foot où on lui prédit un bel avenir, la boxe qu’il affectionne pour sa rigueur, son boulot d’animateur dans une maison de jeunes, l’école Circus Zonder Handen où il s’entraîne toutes les semaines et son boulot d’encadrant bénévole auprès des débutants qui y découvrent le cirque, il n’a pas beaucoup le temps de s’ennuyer.

« J’ai commencé à fréquenter la Maison de jeunes Centrum West de Molenbeek vers l’âge de 6 ans. Parmi les activités proposées, une initiation aux techniques du cirque était organisée avec Circus Zonder Handen. Quand on ne connaît pas le cirque, on peut avoir des images stéréotypées de ce milieu, mais il n’y a pas que la jonglerie ou le clown, même pour les tous petits. C’est très varié et, tout de suite, j’ai accroché. J’aimais tout ! J’ai commencé avec le diabolo », se souvient Mohamed. « Directement, ça m’a aidé à me sentir mieux dans ma peau. C’est grâce au cirque que je me suis ouvert, que j’ai appris à communiquer avec les gens, à aller vers eux. J’ai osé faire des petits spectacles. Comme je me débrouillais plutôt bien, vers 12-13 ans, on m’a demandé de m’occuper des plus petits à Centrum West. Ça commencé par de l’encadrement-animation des 5-6 ans. Ensuite, on m’a proposé de faire la même chose à l’école de cirque. Aujourd’hui, je travaille comme bénévole le mercredi après-midi et j’encadre les enfants durant les stages pendant les vacances scolaires ».

Sa formation ? Probablement la meilleure qui soit : celle du terrain où l’on observe les aînés, les centaines d’heures passées avec les petits pour leur apprendre les bons gestes et le respect mutuel. « En général, je prépare mon animation seul. Et si j’ai besoin d’un coup de main, il y a toujours un animateur adulte à qui je peux demander de l’aide ».

Le choix d’avoir une équipe d’animateurs très jeunes est totalement assumé par la direction de l’école. « Pour nous, il est primordial de nous entourer de personnes qui connaissent à la fois bien la maison et bien leur environnement. Qui peuvent nous apprendre des choses sur les envies et les besoins des jeunes de leurs quartiers. Cela nous permet de rester à l’écoute et de répondre le mieux possible à leurs attentes », indique Veerle Bryon, fondatrice-coordinatrice de Circus Zonder Handen. « De quoi a-t-on besoin ? Faut-il renforcer les cours de jonglerie, de trampoline ? Pourquoi certains gamins décrochent-ils quand ils grandissent ? Voilà les questions que l’on peut se poser. L’apport est donc pratique, puisque Mohamed nous aide concrètement à travailler avec des enfants en difficulté, mais il est aussi l’un de nos relais indispensables auprès des ados de sa génération ».

 

Animateur et médiateur

Mohamed est suffisamment conscient de ce que le cirque lui a apporté pour avoir envie d’être un passeur à son tour. « Soyons francs, l’école, ce n’est pas ce que je préfère. Mais je sais que c’est important d’avoir un diplôme. A côté de ça, ce que je développe comme compétences à Centrum West et à Circus Zonder Handen, c’est très formateur aussi. Ça a d’ailleurs des répercussions positives sur ma vie, de manière générale. Le cirque, comme le foot ou la boxe, ça te donne un cadre, ça t’évite de t’ennuyer et de traîner à rien faire ». De quoi, aussi, modifier le regard jugeant vis-à-vis de gamins plus souvent stigmatisés qu’à leur tour. « Quand tu es un jeune de Molenbeek, enfant d’immigrés, il y a toujours un moment où on va te sortir les préjugés classiques. Mais quand je dis que je m’entraîne et que je travaille à Circus Zonder Handen, on me regarde différemment : tout le monde connaît cette école, elle a une très bonne réputation. On ne peut pas forcer les gens. S’ils ne veulent voir que ce qui ne fonctionne pas, ils resteront avec leurs préjugés, ne verront jamais tout ce qui se passe bien, les jeunes qui s’en sortent et font de belles choses ».

Mohamed raconte aussi que l’assurance qu’il a acquis tout au long de ces années lui permet de se poser en médiateur parfois, « quand deux mecs se cherchent des embrouilles dans la rue ». « Ça m’est déjà arrivé d’intervenir pour calmer le jeu ». Et en grand frère, souvent, avec ses jeunes élèves. « Il faut prendre le temps de les écouter, de leur expliquer les choses calmement. Les tous petits copient leurs comportements sur ceux des grands. Comme ce garçon qui refusait de travailler avec une fille de son âge, à 6 ans. Je les ai pris à part pour discuter du problème et les amener à s’entraider naturellement. Depuis, ils sont devenus inséparables », sourit le jeune homme.

Son travail va au-delà de l’apprentissage des bases des techniques circassiennes et du respect. Dans cette école néerlandophone où de nombreux enfants parlent le français, il les initie, « l’air de rien » à la langue de Vondel. « C’est important d’être bilingue en Belgique, c’est une chance de plus de s’en sortir », dit celui qui, à 16 ans, maîtrise déjà parfaitement les deux langues de son pays, en plus du Rifain parlé par ses parents originaires d’Al Hoceima (Maroc) et qui reconnaît avoir « de bonnes bases en anglais ».

Alors, acrobate, footballeur, animateur, enseignant, diplomate ? Mohamed se trouve trop jeune pour faire des plans sur la comète. Ce qui est certain, c’est qu’il s’est donné les possibilités d’avoir le choix. Tout ça, finalement, un peu par la grâce d’un diabolo.

 

Nous avons réalisé ce reportage fin octobre, avant que les médias nationaux et internationaux ne viennent mettre en lumière une réalité molenbeekoise très partielle. Au regard de l’actualité dramatique de ces dernières semaines, le travail mené par des structures telles que le Circus Zonder Handen nous semble plus pertinent et réjouissant que jamais.

Une école au rythme du monde

« Ma priorité était de fonder une école de cirque véritablement ouverte à tous », explique Veerle Bryon. Depuis 12 ans, elle joint le geste à la parole : Circus Zonder Handen s’est développée dans 11 quartiers bruxellois. « Notre volonté d’accessibilité passe notamment par nos tarifs qui varient en fonction des moyens des familles. On fonctionne toujours de manière inclusive, comme une coopérative », explique la jeune femme, formée à l’école de cirque de Leuven[1]. Une exigence qui a son importance puisque pratiquement la moitié du public de Circus Zonder Handen est issu de milieux défavorisés. Et la tendance ne va pas aller en s’amenuisant : récemment, l’école a commencé à accueillir des enfants réfugiés, fraîchement arrivés à Bruxelles. « Ici, on apprend à se connaître et à se respecter », se réjouit Veerle. « Il n’y a plus de clivages entre quartiers, entre les langues, entre religions, entre les cultures. Tout le monde fait un effort pour que chacun puisse se comprendre ». L’école compte bien poursuivre sur sa lancée émancipatrice. Dans ses cartons pour 2016, des projets de cirque urbain, avec parcours au cœur de la ville, rope skipping (jeu de corde), mâts chinois,… pour permettre aux jeunes d’aller à la rencontre de l’univers circassien sans devoir pousser les portes parfois « symboliquement lourdes » d’une école. « Si les moyens suivent, nous voudrions aussi mettre sur pied un cirque mobile, dans les écoles en hiver et dans l’espace public en été », conclut Veerle Bryon.

[1] Circus in Beweging.

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