Panser un corps qui se dépasse

Oct/Nov/Déc 2015

Humain, si humain, c’est ce qui fait sa grâce. L’acrobate n’a rien d’un surhomme incassable. La médecine l’aide à surmonter les coups et l’invite à prendre soin d’un corps amené à réaliser l’impossible. Petit cours d’anatomie avec un ostéopathe et un préparateur physique.

A voir ses muscles d’acier et ses pirouettes surhumaines, il est tentant de voir en l’acrobate un Titan inoxydable, d’oublier qu’il est, comme nous autres, fait en chair et en os faillibles. Son corps a beau jouer les extraterrestres sur la scène, il connaît des aléas plus terre-à-terre en coulisses. Meurtri par la chute ou l’usure, le circassien doit soigner son corps au quotidien. « Je ne connais pas de circassien qui ne se soit jamais blessé », lance Marc Theuwissen, kiné-ostéopathe qui voit passer environ 30% d’artistes de cirque parmi ses patients. « Ils ont les mêmes fragilités que tout le monde. Les blessures dépendent fortement de la discipline. Le jongleur aura plutôt des problèmes de nuque car il est toujours la tête en l’air, alors qu’un porteur souffrira plus dans le bas du dos ».

C’est par hasard que ce kiné basé à Boitsfort a commencé à soigner l’un ou l’autre circassien. Puis, par le bouche à oreille, il est devenu le « guérisseur » dont on s’arrache la carte de visite dans le milieu de la piste. « Les circassiens m’ont apporté énormément dans ma carrière parce qu’avec eux, il faut être à 110% efficace. Ils viennent avec quelque chose de très concret et en sortant, ils doivent aller mieux car ils sont bien souvent sur un spectacle le soir même ». Pas question évidemment de dire à ces hommes et femmes, habitués à vivre intensément sur le fil, de rester couchés trois semaines, d’annuler un spectacle ou de changer de métier. Exigeants et impatients, les acrobates requièrent souvent des solutions immédiates. « Parfois, je suis amené à trouver des solutions avec eux. Nous réfléchissons, dans mon cabinet, aux passages à éventuellement modifier sur le plateau. S’il y a par exemple une entorse de cheville, on sait qu’il est exclu de sauter et d’atterrir d’une hauteur de trois mètres. On trouve des alternatives ensemble et ils m’invitent souvent à voir le spectacle pour mieux comprendre la situation ».

Mais au fond, la blessure la plus difficile à soigner se situe bien souvent au niveau psychologique. « La blessure est leur pire ennemi et ils ont immédiatement peur pour la suite », commente Marc Theuwissen. « Arrêter est inconcevable pour un circassien. C’est plus qu’un métier, c’est leur vie. Souvent, ce sont des personnes au caractère très fort, en partie parce que le début de carrière n’a pas été facile, qu’ils reçoivent peu d’aide et se prennent seuls en charge. Du fait de ce fort caractère, ils surpassent bien souvent ces blessures psychologiques. Bien sûr, si on décèle des problèmes psychiques plus graves, on les dirige vers quelqu’un, mais c’est arrivé très rarement dans ma carrière ».

Un peu de douceur dans ce monde d’athlètes

Parce qu’il vaut mieux prévenir que guérir, les jeunes circassiens sont de plus en plus sensibilisés à la préparation physique, notamment à l’Ecole Supérieure des Arts du Cirque de Bruxelles, où l’on est toujours plus attentif et proactif pour protéger le corps des acrobates. Depuis 2010, Marc Walravens enseigne la préparation physique et assure le suivi médical des étudiants de l’Esac. « On incite de plus en plus les élèves à mieux comprendre leur corps. Ils ont notamment des cours d’anatomie. On essaye de bien les préparer mais aussi de les mettre en garde sur le risque de surentraînement. J’essaie de faire comprendre aux acrobates, mais surtout aux entraîneurs, que c’est dans les moments de repos qu’on gagne le plus en musculaire. Hélas, les coachs ne respectent pas toujours tous ces principes physiologiques. Une préparation physique, c’est comme des mathématiques. Il faut analyser le mouvement. Si, en deux heures au tissu aérien, on calcule combien de fois on monte et on descend, et avec quel poids du corps sur les biceps, c’est énorme ! On ne peut jamais prévoir une préparation physique suffisante pour cela. Pourquoi ne pas plutôt réfléchir à un entraînement moins long mais de qualité ? Si vous négligez le repos et que l’acte revient trop vite, vous faites du ‘désentraînement’ ». Pousser toujours plus loin les limites de son corps ne doit pas forcément se faire dans la douleur, a fortiori depuis que des méthodes alternatives comme le Pilates ou l’acro-yoga ont fait leur apparition dans les écoles de cirque pour inciter, elles aussi, à un peu plus de douceur.

Et les enfants là-dedans ?

Très à la mode, le cirque attire toujours plus d’enfants. Les écoles de loisirs et les stages se multiplient, les cours se font de plus en plus précoces. Ce ‘boom’ s’accomplit-il avec la vigilance nécessaire ? Peut-on mettre l’acrobatie entre toutes les petites jambes ? Professeur d’éducation physique de formation et ancien champion de trampoline, Axel Seeuws a longtemps donné des cours d’acrobatie aux enfants, en plus des formations qu’il dispense aux adultes professionnels. « Avez-vous déjà observé des enfants sur un château gonflable ? Avant 7 ans, ils rebondissent dans tous les sens parce que la tonicité, le gainage, la musculature ne sont pas encore développés », analyse le pédagogue. « C’est pour ça qu’une préparation physique générale est essentielle quand on travaille avec des enfants. Sinon, on va les déformer, les casser. Bien sûr, on ne va pas leur faire faire des abdos dans le style de la salle de muscu, mais on va trouver mille et une autres manières ludiques, avec des agrès d’initiation, comme  les faire marcher sur un tonneau ou sur la balle d’éléphant. C’est pour cela qu’on a développé la circomotricité, à mi-chemin avec la psychomotricité. Heureusement, on met plus l’accent aujourd’hui sur cette préparation physique et il est important de former convenablement ceux qui vont donner cours. Hélas, à cet égard, on privilégie souvent le secteur plus pro ». Renforcer les moyens financiers de ceux qui forment la jeunesse serait la plus belle arme pour s’assurer une vigilance totale sur les pratiques circassiennes de nos enfants.

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L'auteur.e de l'article

Catherine Makereel

Journaliste indépendante (Le Soir).