Oct/Nov/Déc 2015

Ce qui est fascinant dans un art éphémère, c’est qu’il ne vit qu’un court instant, le temps du spectacle. Rien n’existe avant la représentation et rien n’existe après la représentation. Le spectateur n’a que sa mémoire pour rembobiner et revoir la scène qui l’a bouleversé, il n’a que son imagination pour revivre et ressentir toute l’émotion qui l’a tant fait chavirer. Il y a bien des enregistrements, des captations qui tentent d’arrêter le temps et de fixer sur la pellicule l’instant de la représentation, hélas la caméra, dans une tentative courageuse mais purement technique, ne peut que saisir une copie du spectacle sans frisson, sans émoi, sans vie.

C’est un art vivant : il faut être dans la salle, sous le chapiteau ou autour de l’artiste pour vivre et partager le voyage avec lui. Tout cela est très archaïque et semble désuet dans un monde où sur son téléphone n’importe qui peut voir à tout moment un fabuleux numéro de cirque créé à l’autre bout du monde…

Et pourtant, les gens viennent et reviennent au cirque en nombre et avec bonheur comme mus par un réflexe ancestral.

Qu’est-ce qui peut bien motiver l’homme moderne à faire ainsi ce voyage dans le temps ? Tout comme le théâtre, le cirque est un art de la transmission. Tout ce qu’un artiste sait, il l’a appris d’un autre avant lui et ce qu’il sait, il va le transmettre au suivant… Et c’est ainsi depuis toujours…

Il en va de même pour le spectateur, je pense.

Pour ma part, c’est mon père qui m’a fait découvrir le cirque. Il adorait les clowns musiciens. Lorsque l’occasion de voir des clowns musiciens nous était donnée, tout s’arrêtait, plus rien ne comptait. Je regardais bien sûr le numéro, mais surtout j’observais mon père opérer une sidérante métamorphose. Sous mes yeux, l’homme en costume trois pièces, aux multiples responsabilités, se transformait doucement en enfant et laissait échapper un rire incompressible. Rire qui traversait toute la partie du numéro où les malheureux clowns s’escrimaient pitoyablement à jouer leur concert, puis soudain dans un moment de grâce génial, au milieu d’une effroyable cacophonie, une musique poignante surgissait avec délice… Je sentais mon père fondre… et je donnerais n’importe quoi pour revivre cet instant… C’est pour poursuivre ce voyage dans le temps que je vais au cirque, que j’irai toujours au cirque… et que j’y emmènerai mes enfants… Juste pour transmettre.

Bio XPRESS

Depuis sa sortie de l’IAD en 1985, Eric De Staercke a joué dans des myriades de spectacles où sa vis comica régale les zygomatiques autant qu’elle réveille les consciences. Longtemps bretteur à la Ligue d’Impro, aujourd’hui directeur des Riches-Claires, ce chroniqueur des temps présents fête les 30 ans de son Théâtre Loyal du Trac avec la reprise de l’immanquable « Est-ce qu’on ne pourrait pas s’aimer un peu ? ».

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L'auteur.e de l'article

Laurent Ancion

Laurent Ancion est rédacteur en chef du magazine « C!RQ en Capitale ». Critique théâtral au journal « Le Soir » jusqu'en 2007, il poursuit sa passion des arts de la scène en écrivant des livres de recherche volontiers ludiques et toniques. Il est également conférencier en Histoire des Spectacles au Conservatoire de Mons et musicien.