La reconversion, ça vous inquiète ?

Oct/Nov/Déc 2017

À quel âge commence-t-on à se poser la question de la reconversion ? Quelle forme peut-elle prendre ? Si nul n’est égal face au temps qui passe, personne ne peut s’y soustraire. Nous avons rencontré trois circassiens, aux âges et parcours différents, pour voir si la question les taraude.

Jeromy Zwick, enthousiasme débutant

23 ans, diplômé de l’Esac en 2017

« Je m’imagine faire du cirque toute ma vie », s’exclame d’emblée Jeromy. Pas de doute : le jeune Australien espère rester toujours en piste ! En tout cas, il n’a pas encore envie d’imaginer autre chose. Il faut dire qu’il a la jonglerie dans la peau, même s’il l’a découverte sur le tard. « J’avais douze ans. À l’école, j’ai participé à un workshop : un coup de foudre. J’ai continué à jongler chez moi, j’ai acquis un monocycle, aussi. » Il intègre ensuite une école de cirque, à XXX, avant d’être admis à l’Esac. Du 100 % cirque ? Pas tout à fait. Le jeune homme s’est aussi formé à l’ébénisterie – gentille pression familiale oblige. Un savoir-faire qui lui permet aujourd’hui de réaliser ses scénographies ou celles de sa copine fil-de-feriste. Alors, si Jeromy doit envisager une seconde vie après le cirque, ce serait peut-être en lien avec cette pratique. Même s’il ne veut pas y penser aujourd’hui, il est conscient qu’un jour, il faudra envisager la chose. « Après ma formation en ébénisterie, je savais que je voulais reprendre le chemin circassien. Quand je suis entré à l’Esac, je n’avais pas de plan B. C’était ma seule option. Mais je dois bien avouer qu’on est vieux plus vite, dans nos corps d’artistes de cirque. Par exemple, quand on est très jeune, on est persuadé que ce n’est pas grave de ne pas s’échauffer. Aujourd’hui, je sens l’importance d’un bon échauffement. » Et quand on insiste pour connaître quel serait son chemin, après, Jeromy est affirmatif, encore et toujours : ce sera dans le cirque. « Œil extérieur, metteur en piste. Ou travail du bois pour une compagnie. » Il est des passions qui nous sculptent !

 

Loïc Faure, passion confirmée

34 ans, compagnie Jongloïc et Chaliwaté

Loïc a toujours été « hyper sportif ». Jeune, c’était le rugby qu’il pratiquait intensivement. Par besoin de se dépasser, de se dépenser. Le cirque est arrivé par la jonglerie, comme un énième sport. Sur le tard : 19 ans. « Je jonglais pour la performance. Après mon bac, je pensais à un métier dans l’animation, puis ma mère a repéré une formation en jonglerie, m’a encouragé à la tenter. » Loïc s’y met à fond, en jonglerie et main à main. Le cirque devient sa passion. De formation en formation, il arrive, de son Bergerac natal, à Bruxelles, où il apprend un autre cirque, dramaturgique et scénographique. Aujourd’hui, c’est à travers son solo, Hom(m), et sa compagnie, Jongloïc, qu’il s’exprime. Une compagnie dans laquelle il devine un potentiel épanouissement futur, si reconversion il doit y avoir. Même s’il préfère ne pas trop y penser. « À l’école, on nous parle un peu de reconversion, mais on n’écoute pas vraiment !… Mon objectif, à l’époque, c’était de vivre du cirque, d’une manière ou d’une autre. Quand on est jeune, on va tout faire pour atteindre ce qu’on veut devenir. On est comme un samouraï prêt à tout, y compris à aller au-delà des limites de son corps ! » Si l’artiste n’évoque la reconversion que du bout des lèvres, il avoue qu’à seulement 34 ans, il a déjà dû réduire son activité. « Accidents, blessures, le corps subit. J’ai dû arrêter 80 % de ma pratique acrobatique. » Loïc concède aussi qu’à un moment, d’autres objectifs de vie et l’envie de lien social poussent à calmer le jeu. « On a envie de grandir dans sa pratique, mais on a aussi envie de grandir dans sa vie, de profiter de son entourage, d’être bon vivant. » Alors, Loïc réoriente (très) doucement sa vie professionnelle. En se donnant à fond dans sa compagnie, ou dans le spectacle Jetlag (Compagnie Chaliwaté), moins physique que son seul en piste. Et en se rêvant, d’ici vingt ans, toujours à la tête de sa compagnie, à aider des jeunes pousses et à monter de nouveaux projets. Moins en piste, peut-être, mais toujours en cirque.

Angela Laurier, transmission engagée

55 ans, Compagnie Angela Laurier

« La reconversion, on n’y pense pas. Ça nous tombe dessus ! », affirme Angela Laurier. La contorsionniste et metteuse en piste concède avoir commencé à envisager un changement de cap professionnel à la trentaine, ressentant un besoin d’écrire ses propres projets à partir de ses états de corps. « Les moments de préparation devenaient difficiles et aliénants : répétition des mêmes gestes depuis tant d’années, toute cette gesticulation… » Elle n’a pas lâché la discipline pour autant, l’exploitant pleinement en scène jusqu’à ses cinquante ans. Et aujourd’hui encore, elle s’y confronte – elle est ainsi de Talk Show, un spectacle qui dit les corps circassiens à l’épreuve du temps (lire aux pages suivantes). Elle nous précise qu’elle effectue certaines figures uniquement sur scène, sous adrénaline, incapable de les pratiquer en entraînement. Trop douloureux. « Au début de ma vie professionnelle, je ne pensais pas à tout ça. J’avais les capacités physiques pour ce métier, j’ai foncé. » Mais la pratique est un sacerdoce, elle exige qu’on lui consacre du temps, beaucoup, et de l’énergie, intensivement. Une énergie qu’il faut pouvoir canaliser vers d’autres choses quand l’activité diminue. Sans doute est-ce le plus difficile à gérer dans la reconversion. Pour Angela, l’échappatoire sera la transmission. « J’ai accepté de devenir intervenante en contorsion au CNAC [Centre National des Arts du Cirque, à Châlons-en-Champagne]. Et j’ai des projets plus personnels avec ma compagnie, axés sur d’autres choses que la prouesse. » L’artiste avoue qu’une vie dans le cirque l’a aussi coupée de ses émotions. « C’est un métier où on se perd derrière une carapace. On teste les limites du corps, c’est ça qui nous fait. À un moment, on a besoin de se retrouver. » Pour se reconnecter à ses émotions, elle a travaillé sur la voix. D’un corps au service de la piste, celui d’Angela devient progressivement celui d’une femme connectée à elle-même et à la transmission, au service de la jeune génération. Même si elle reconnaît « qu’il n’est pas facile de vieillir, dans nos métiers. » Sa prochaine création, La mère, la fille et la simple d’esprit, veut montrer et donner à entendre cela.

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L'auteur.e de l'article

Isabelle Plumhans

Journaliste FreeLance, Isabelle Plumhans (d)écrit la mode et la culture. Par amour des mots, entre autres.