Considéré comme le « penseur » des arts de la piste au Québec, Jan Rok Achard a dirigé l’Ecole Nationale de Cirque à Montréal pendant 13 ans. Son travail de concertation et de réflexion a largement contribué à la reconnaissance du cirque contemporain au Canada. « Créer, développer, implanter, réaliser, voilà à quoi je me suis consacré au cours des quarante dernières années », résume ce très sympathique chevalier des arts. Aujourd’hui consultant en création et développement d’entreprises artistiques et culturelles, il jette un regard très informé sur la situation du cirque en Belgique francophone, regrettant notamment la disparition de la Maison du Cirque, une association qui aurait pu aider le secteur à se fédérer.
Peut-on parler de « boom » dans notre secteur cirque ?
Il se passe quelque chose en effet. Je ne parlerais peut-être pas de « boom » mais de « blooming » [floraison, NDLR]. Vous avez à Bruxelles, et en Fédération Wallonie-Bruxelles en général, une histoire passée et actuelle qui est un terreau plein de promesses. Depuis près de 30 ans, la Piste aux Espoirs à Tournai est un creuset assez majeur du cirque actuel. A Bruxelles, les Halles de Schaerbeek, l’Ecole de Cirque, l’Espace Catastrophe ou l’Esac sont chacun des locomotives. En Wallonie, à Marchin, Latitude 50 fait aussi un joli travail. Résultat : il y a des créateurs, il y a des talents importants, des jeunes créent des compagnies et tournent… Mais… Il y a quelque chose de divisé en Belgique et le milieu du cirque l’est aussi. Faites pousser la confiance entre partenaires, unissez-vous et vous l’aurez, votre boom !
Vous nous recommandez les vertus de l’échange…
Le monde culturel voit les marges de ses financements publics se resserrer un peu partout. On n’est plus à une époque de revendication. On est entré dans l’époque de mutualisation. Chez toi comme chez moi, les limites sont vite atteintes. A nous deux, elles reculent. A quatre, ça commence à avoir de l’allure ! Le cirque contemporain doit apprendre à se solidariser. C’est la grosse difficulté. Pourtant, partager ne veut pas dire perdre ses droits ni sa souveraineté. C’est un partage, pas une ingérence. Chacun possède et garde ses spécificités. Tous ne doivent pas essayer de tout faire. Il faut plutôt unir les compétences. C’est ce qu’a compris le gouvernement flamand en affrétant le Circus Centrum. Je trouve que cela aurait été nécessaire que la Maison du Cirque joue ce rôle fédérateur du côté francophone. Sa disparition est regrettable, parce qu’elle aurait peut-être pu y parvenir.
Votre propre expérience démontre-t-elle le bénéfice de la mutualisation ?
J’espère, c’est ce pourquoi je me suis toujours battu. En 1994, j’étais directeur de l’Ecole de Cirque de Montréal. Je recevais plus de 1000 demandes par an pour participer à des événements. J’avais plus de moyens que quiconque pour y répondre. Mais ce n’était pas mon job ! Nous étions une école, pas une boîte de production. S’engager là-dedans, c’était peut-être alléchant, mais c’était aussi suicidaire. J’ai donc créé l’association « En Piste », une plateforme commune aux structures de cirque. Cet espace d’échange est rapidement devenu le lieu de tous et de toutes. Vingt ans plus tard, nous représentons tout un secteur – et tout un pays de cirque, puisque l’association est pancanadienne, soutenue par le gouvernement.
Bruxelles réussit déjà certains de ses métissages…
Bien sûr ! La Zinneke Parade, en rassemblant tous les deux ans des groupes, ateliers et formations de tous les coins de la ville, est un des plus beaux exemples que je connaisse. Vous pouvez en être fiers ! La qualité et la force sociale de la Zinneke démontrent ce qui peut se passer quand on se met ensemble.
Bruxelles figure-t-elle sur la carte internationale du cirque ?
Si je regarde les cinq dernières années, Bruxelles et la Belgique francophone ont soufflé un vent frais sur la diffusion internationale. L’image n’est pas dominante, mais elle est absolument reconnue. Je pense, exemple parmi d’autres, au Carré Curieux, une jeune compagnie composée de quatre artistes issus de l’Esac. C’est un collectif, il n’y a pas de chef – ils sont tous chefs ! Et ils ont donné une image exceptionnelle des qualités créatrices de chez vous.
Vos structures, comme les nôtres, doivent continuer à rester critiques vis-à-vis d’elles-mêmes. Restent-elles dans la création ? Dans la pertinence actuelle ? Tout rayonnement est fragile. Il est difficile de prendre quoi que ce soit pour acquis… même parmi ceux qu’on croit indéboulonnables. Le Cirque du Soleil était celui « qu’il fallait voir » pendant des années. Et puis… Cavalia débarque et commence à prendre cette place-là. En arts, il faut rester ouvert, curieux, ne jamais croire qu’on a la recette unique. Tout est dans le dialogue.
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L'auteur.e de l'article
Laurent Ancion
Laurent Ancion est rédacteur en chef du magazine « C!RQ en Capitale ». Critique théâtral au journal « Le Soir » jusqu'en 2007, il poursuit sa passion des arts de la scène en écrivant des livres de recherche volontiers ludiques et toniques. Il est également conférencier en Histoire des Spectacles au Conservatoire de Mons et musicien.