J’ai voté avec le Cirque Démocratique de la Belgique

Oct/Nov/Déc 2014

Armés de votre carton de vote, vous êtes responsable de l’évolution du spectacle. A moins que ce ne soit le show qui décide pour vous ? Avec « Le Cirque Démocratique de la Belgique », toute ressemblance avec la réalité n’est pas fortuite. Un jeu qui offre un piquant regard sur l’actualité.

Si vous voulez voir un trio d’acrobatie, votez jaune. Si vous préférez une démonstration du pouvoir exceptionnel de l’esprit humain, votez rouge. Que choisiriez-vous ? Dans les gradins, le vote ne se fait pas attendre : c’est rouge évidemment, dans un grand bruissement de joie ! Face au « Cirque Démocratique de la Belgique », c’est vous qui menez le bal. Vos trois hôtes, Gab Bondewel, Bram Dobbelaere et Sander De Cuyper, costards-cravates noir-jaune-rouge, ne font que « proposer » : c’est vous qui disposez. « Voulez-vous que notre collègue Dobbelaere fasse des claquettes avec des chaussures classiques ou préférez-vous qu’il enfile… ces chaussures de ski ? ». Quel est le choix, à votre avis ?

La nouvelle création de la compagnie Pol & Freddy s’appuie sur un élément ultra-classique : la participation du public. Mais elle le pousse à son paroxysme, à travers le vote à la majorité. « Il est très courant de faire crier le public ou d’appeler un bénévole sur scène », commente Sander De Cuyper. « On a juste mené ce principe à l’extrême. Les gens sont surpris de pouvoir voter, tu les captes et ça les scotche ! ». Résultat (des votes) : la foule se gondole, pousse effectivement des cris et se réjouit de voir ses choix parfois cruels – étonnant effet du vote de masse – prêts à se réaliser, comme ce plongeon de quatre mètres de haut dans une piscine gonflable où il y a à peine 10 centimètres d’eau. Alors, sautera, sautera pas ?

En guise de plongeon, c’est une question d’une abyssale profondeur qui est posée ici. Au fond, qu’est-ce que la démocratie ? Qu’est-ce qu’un vote ? « Au moment des recherches pour créer le spectacle, la Belgique traversait cette période record sans gouvernement – 541 jours, de juin 2010 à décembre 2011 », explique Bram Dobbelaere. « L’idée première des cartons de vote nous a menés à celle de démocratie. En cours de travail, nous nous sommes rendu compte que la façon dont nous présentions les choix pouvait totalement influencer la réponse du public. Je crois à la démocratie, mais je pense que l’idée que les gens s’en font est très idéalisée. Sur les 22 propositions de vote du spectacle, nous connaissons d’avance 20 réponses du public. Si nous en sommes capables, comment pensez-vous que fonctionne la communication du monde politique ? ».

Pour mieux explorer ce constat, nous avons pris le trio au pied de la lettre : nous l’avons suivi pendant quelques mois, à dater des élections de mai dernier. « En observant les discours pré-électoraux, nous reconnaissons des techniques que nous avons apprises », commente Bram, début mai. « Le mentaliste Kurt Demey, avec lequel nous avons travaillé, nous appris combien la formulation des phrases peut déterminer le choix », précise Sander. « L’ordre des mots et des propositions est déterminant, comme pour le choix entre ‘un trio d’acrobatie et une démonstration du pouvoir exceptionnel de l’esprit humain’. Le temps qu’on dise la deuxième proposition, les gens ont déjà oublié la première, qui apparaît bien fade. Le public vote évidemment pour la seconde ! ».

« De la même façon, il n’y a plus aucun parti qui travaille sans conseiller. Tous les hommes politiques sont hyper entraînés, leur discours est nettoyé, clean, sans effiloche. La méthode fait disparaître le contenu au profit du packaging », commente Gab Bondewele. Le 25 mai, jour des élections, le trio joue à Meeuwen-Gruitrode, près de Genk. Dans le camion, au retour, ils écoutent la radio, pour suivre les résultats qui tombent petit à petit. « Bart De Wever a quand même bien, bien, bien gagné », s’inquiète le groupe, frappé par le fait que tous les partis crient victoire : « Tous les discours sont interchangeables ! ». Des mots reviennent, confirmant jusqu’au vertige l’idée de formatage : «  L’électeur a parlé, il a donné un signal fort… ». Le trio se met du baume au cœur : « Avec les résultats de la N-VA, c’est peut-être un nouveau blocage qui attend la Belgique ? Allez, ça ferait une super pub pour le spectacle ».

Quelques semaines plus tard, changement d’ambiance : c’est la Coupe du Monde de foot. « Le Mondial tombe trop tard ! Quand on gagne un match de foot, ou quand Justine Hennin triomphe à Rolland-Garros, on gueule tous comme des dingues. Tout à coup, même les séparatistes sont belges ! », ironise Bram. Le 5 juillet, jour du quart de finale entre la Belgique et l’Argentine, le trio joue au Havre. « Si jamais la Belgique gagne le Mondial, est-ce que ça peut aider à former une coalition ? », leur demande un spectateur français. « Le concept de démocratie est international. Mais la Belgique, avec ses six gouvernements, est exemplaire à cet égard », analyse Gab. « Et les gens se souviennent de notre record national ! ».

Alors voilà, l’été venu, la Belgique s’est acheminée vers un accord de gouvernement – la coalition dite « kamikaze » puis suédoise. « On a perdu les principaux promoteurs du spectacle ! », sourit le trio. Gardons confiance : la réalité va sûrement continuer à rejoindre la fiction. « Pas mal de gens pensent qu’on a fait un choix politique. Mais nous ne défendons aucune position », insiste Sander. « C’est du spectacle, nous ne faisons que soulever des questions ». Comme elles sont assez lourdes (de sens), il fallait bien trois athlètes de cirque pour y arriver avec autant de légèreté.

 

Infos et dates de tournées : www.cirquedemocratique.be.

 

« Chacun est mis face à sa conscience »

Lors d’un petit sondage d’opinion (démocratie oblige) parmi les spectateurs de la fête de clôture de la saison du Bronx, en juin dernier, le hasard nous a mené vers un spécialiste, assis en famille sur les gradins. Alain Vermote est responsable du service juridique de la CSC bruxelloise. Il commente pour nous l’usage citoyen du « Cirque Démocratique de la Belgique ».

Le spectacle vous a-t-il fait penser à la situation politique de notre pays ?

« Avec les drapeaux, les costumes noir-jaune-rouge et l’hymne national, impossible de ne pas y voir une ironie par rapport à la Belgique ! Toutefois, j’ai pensé davantage au principe général d’une élection qu’au contexte politique. Très vite, on se rend compte que le spectacle jongle avec la notion de scrutin : nos votes sont orientés vers ce que le trio a envie de faire. »

Est-ce de la dérision ou du réalisme ?

« Un subtil mélange des deux. Les mécanismes utilisés ici nous invitent à la vigilance. Dans la vraie vie, on devrait peut-être rappeler que tout scrutin est ‘orientable’. Par le rire, le spectacle nous invite à développer notre sens critique. »

L’humour peut-il pousser à l’action ?

« Chacun est mis face à sa conscience. On peut rester assis, comme ici, observer, rire ou pleurer. On peut aussi se lever. Les élections ne sont pas limitées à la classe politique. En entreprise par exemple, on élit tous les quatre ans les représentants syndicaux. En tant que militant, j’estime qu’il est impératif de rappeler la valeur de ces élections, au quotidien. Nous utilisons parfois le théâtre pour mobiliser les travailleurs. ‘Le Cirque démocratique de la Belgique’ pourrait aider à réveiller les consciences… et à bien s’amuser d’ailleurs ! »

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L'auteur.e de l'article

Laurent Ancion

Laurent Ancion est rédacteur en chef du magazine « C!RQ en Capitale ». Critique théâtral au journal « Le Soir » jusqu'en 2007, il poursuit sa passion des arts de la scène en écrivant des livres de recherche volontiers ludiques et toniques. Il est également conférencier en Histoire des Spectacles au Conservatoire de Mons et musicien.