A Bruxelles, on peut désormais pratiquer le cirque à tout âge en atelier, stages ou à l’école. Nous avons rencontrés deux « tribus » de circassiens, les Gheur et les Roggen, qui partagent la même passion des pistes au quotidien. Ils témoignent de ce boom du cirque qui est en train de changer la ville.
Les Gheur, une famille au carré
« Le cirque, pour nous, c’est une culture familiale. On va voir les spectacles ensemble, on fait nos critiques. Et on a aussi notre pratique ! ». Morgane, 27 ans, s’exprime en tant qu’aînée de la famille Gheur. « Quand j’avais dix ans, j’ai vu un des premiers grands spectacles des étudiants à la sortie de l’École supérieure des arts du cirque (l’Esac), aux Halles de Schaerbeek. J’ai flashé sur le tissu et je voulais absolument en faire. Mais je n’avais pas l’âge, on ne peut commencer qu’à douze ans. J’ai tanné ma mère pendant des années. À 14 ans, je me suis inscrite à l’Ecole de Cirque de Bruxelles avec ma sœur Suzon. On a commencé par les acrobaties et le trapèze, car le tissu c’est plus difficile ».
Morgane, ses deux sœurs cadettes (Suzon, 24 ans, et Mélusine, 12 ans) et leur mère Agnès partagent toutes les quatre la passion des arts du cirque. Et aujourd’hui, même si Morgane a arrêté le cirque pour la kinésithérapie, elle transmet cette ferveur à sa fille de trois ans et demi, Nell – la jeune demoiselle a commencé cette année, par un stage d’été de cirque pluridisciplinaire organisé par l’école « Des étoiles dans les yeux » à Ixelles. « Sa première initiation ! », sourit Morgane. « Je fais déjà un peu d’accro-porté avec elle. Elle est très à l’aise. Elle aime bien l’acrobatie et elle veut faire des spectacles comme Suzon quand elle sera grande ». Suzon, sa jeune tante, donne des cours de cirque en Irlande après cinq ans d’éducation physique et une formation pédagogique à l’Ecole de Cirque de Bruxelles. « En Irlande, le monde du cirque est minuscule. Il n’y a pas de concurrence. C’est plus facile de faire son trou, car la plupart des gens qui se disent circassiens font des échasses ou du feu. Ça m’aide beaucoup ! »
Si Morgane et Suzon ont attrapé le virus circassien, c’est à cause de leur mère Agnès. Née dans le milieu de la scène, une mère professeur de diction, de déclamation et d’art dramatique au Théâtre National, elle a traîné ses filles dans les salles de spectacle dès leur plus jeune âge. « Je suis hyper timide et je préfère depuis toujours le langage corporel. Le cirque nouveau est en lien avec ça, parce qu’il raconte des histoires avec le corps. C’est ce qui m’a attirée au départ dans le cirque. Évidemment, j’ai amené mes enfants… qui ont bien réagi ». La petite famille a grandi avec le cirque bruxellois et a suivi les principales représentations à la capitale. « Il y a certains spectacles qu’on ne manque jamais comme ‘Chapiteau en folie’ de l’Ecole de Cirque de Bruxelles, celui de la formation pédagogique, celui de l’Esac, le festival de l’Espace Catastrophe et ceux des Halles de Schaerbeek », énumèrent-elles.
La troisième et dernière fille d’Agnès, Mélusine, a pris le même chemin que ses sœurs : elle a choisi d’étudier au Centre Scolaire du Souverain à Auderghem, pour profiter du « Cirquétudes » en primaires. Son emploi du temps comprend trois heures de cirque par semaine. « Quand je suis arrivée dans cette école, j’ai tout de suite adoré le cirque. C’est mon activité préférée. On fait ça dans la salle de l’Esac. Dernièrement j’ai découvert l’aérien et la technique du trapèze. Avant j’aimais beaucoup l’équilibre, le câble et maintenant ce sont les airs. Mon rêve plus tard, c’est de faire quelque chose d’artistique ».
Les Gheur personnifient l’effervescence du cirque à Bruxelles. Quand on évoque un « boom » actuel, Morgane, l’aînée, confirme : « C’est vrai que quand j’étais petite, j’avais l’impression qu’il y a avait une école de cirque pour enfants et une pour adultes, et c’est tout. Maintenant, il y a énormément de cours parascolaires, en primaire et secondaire ». « Et plein de petites associations parallèles qui donnent des stages. Même l’Adeps s’y est mis », ajoute Suzon.
La petite Nell est née au bon moment : la pratique est enseignée à l’école, des stages accessibles sont organisés durant les vacances scolaires… Son entrée dans la grande famille du cirque symbolise cette troisième génération de « circassiens ».
Les Risopoulos-Roggen, une famille dans les airs
18h, à l’Atelier du Trapèze de Schaerbeek, Grande Rue au Bois. Le responsable, Nicolas Eftimov, installe les tissus et les structures de trapèze et cerceau. Une femme aux longs cheveux blonds, très élancée et musclée, entre avec un jeune adolescent derrière elle. Très à l’aise, elle salue les autres membres déjà en train de s’échauffer. En la voyant ainsi, physique de danseuse, habillée d’un legging zébré noir et blanc et d’un tee-shirt rose, personne ne peut imaginer que Françoise Roggen portait quelques heures plus tôt sa robe de magistrate. « Dans cet atelier, on est presque tous des universitaires. Comme si on avait besoin de décompresser après nos journées ! », remarque-t-elle en commençant ses échauffements. Son fils Pierre, 14 ans, reste à ses côtés sans broncher. Sa mère s’inquiète. « Tu ne t’échauffes pas ? Ce n’est pas bon ». « Non, je n’ai pas besoin, je vais faire du cerceau ». Il se tourne vers le responsable d’atelier et lui demande de l’aider à installer son agrès.
Pendant ce temps, Françoise explique. « Pierre fait du cerceau et un peu de tissu. Simon, mon fils de 16 ans, fait de la corde lisse et du trapèze. Paul, qui a aujourd’hui 19 ans, en faisait aussi, mais il a arrêté pour ses études. Théo, l’aîné, a essayé tout petit, mais sans succès ». Sur ses quatre fils, tous ont donc pratiqué au moins une fois une discipline ! Une vraie famille de circassiens amateurs. « C’est chouette de partager cette passion », se réjouit la fière maman. « Ça nous donne une proximité qu’on n’aurait pas autrement ». Et le papa ? « Non, mon mari n’arrête pas de dire qu’il n’aime que le plancher des vaches ! »
Pierre est monté sur le cerceau en deux temps trois mouvements. Il commence à enchaîner les figures, pendant que sa mère le surveille du coin de l’œil. « N’oublie pas tes pointes de pieds ! Ce n’est pas très beau sinon ».
Elle poursuit, toujours en s’échauffant : « On a découvert le cirque il y a presque six ans, alors qu’on était en vacances au Club Med. Il y avait une petite école de cirque qui proposait des ateliers. Avec les garçons, on a essayé la structure de trapèze et après, quand on est revenu sur Bruxelles, on a voulu continuer ». Ils ont cherché des cours de trapèze le soir après le travail pour Françoise, après l’école pour ses fils. Ils ont trouvé Trapèze asbl, installé dans l’École n°4, place Bethléem à Saint-Gilles. Ensuite, petit à petit, ils se sont mis à d’autres disciplines. La corde, le cerceau, le tissu… « Je l’ai appris auprès de Laura Coll, une artiste qui a aujourd’hui sa propre école à Etterbeek ». En ce moment, Françoise s’entraîne beaucoup. C’est pour ça qu’elle est venue à Schaerbeek. Elle monte et s’élance dans une série d’impressionnantes figures, sous les conseils de son amie à côté d’elle.
Pendant ce temps, Pierre descend enfin de son cerceau. « Ma mère fait trois fois plus de cirque que moi. Elle s’entraîne presque tous les jours. Je préfère le cerceau ou le trapèze, parce que j’adore être en l’air. J’ai l’impression de voler. J’avais vu une photo de mon autre grand frère Théo qui faisait du trapèze quand il avait sept ans, c’est ce qui m’a donné envie de commencer ». Ce soir-là, ils s’entraîneront tous les deux pendant deux heures. Le temps hebdomadaire minimum pour progresser.
Une semaine plus tard, nous retrouvons Françoise à Trapèze asbl, place Bethléem. Cette fois accompagnée de son autre fils de 16 ans, Simon. Pendant que sa mère monte sur le tissu, Simon passe à la corde. Il est venu pour cette discipline qu’il explore depuis tout juste deux mois. « C’est plus physique, l’effort est totalement différent. Le trapèze m’apporte une sensation de liberté, la corde c’est vraiment dur ». Il arrive à intégrer deux heures de corde et de trapèze par semaine à ses horaires scolaires. Si on compte quelques stages spécialisés en France pendant les vacances, cette passion lui prend du temps. « J’aime bien le côté artistique de la pratique. Si c’était juste un sport, ça ne m’intéresserait pas ». Accompagner sa mère dans sa pratique physique ne semble pas si évident lorsqu’on est adolescent. Pourtant, Simon s’en moque. « Dans tous mes cours, la plupart des personnes ont plus de 25 ans. Quand je dis que je fais du cirque à mes copains, je passe pour un phénomène de foire, au début. Après, ils comprennent et finalement ils sont hyper impressionnés ». Le jeune homme reprend sa corde aux côtés de Françoise. Ensemble, ils s’accordent pour quelques figures photogéniques. Une belle unité familiale… dans les airs !
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