Il y eut l’enchantement de « L’autre », ballet pour un soliste et des meubles très mobiles. Il y aura « La cosa », rencontre entre quatre hommes et des bûches. A défaut de pouvoir entrer dans son très inventif cerveau, si on ouvrait la boîte à outils de l’incroyable Claudio Stellato ?
Pour dater un arbre, on pratique la dendrochronologie – l’art de lire dans les lignes du tronc. En scrutant de plus près Claudio Stellato, 38 ans, on jurerait qu’il a déjà eu plusieurs vies. Rendu internationalement célèbre par la grâce de « L’autre », ce spectacle créé en 2011 où il dansait avec des meubles qui bougeaient tous seuls, l’artiste italien basé à Bruxelles, tout à la fois poète, acrobate, plasticien, danseur et performeur, est une forêt à lui tout seul.
On l’a vu à 17 ans du côté de Milan, étudier la musique. A 20 ans, on le croise en pleine formation en comptabilité et informatique, qu’il finance en déchargeant des camions et en vendant des vêtements. Peu après, il déserte le service militaire et file en Grèce, où il travaille comme aide-cuistot. Un ami qui sait jouer « Prima guarda » de Litfiba à la guitare le convainc que l’art n’est pas une vaine affaire, et le voici qui s’essaye au spectacle de rue à travers l’Europe à Rome, en Toscane, en Espagne. Fuyant Berlin à cause de la jalousie du petit ami d’une de ses conquêtes, il affinera son art jusqu’en Amérique Latine.
Une vie comme un roman ? Absolument. Arrivé à Bruxelles après sa formation au Lido (le Centre des Arts du Cirque de Toulouse), la charpente biographique de Stellato convainc nombre de chorégraphes, parmi lesquels Roberto Olivan, Fré Werbrouck et Karine Ponties. Et cette vie de bâton de chaise nourrira évidemment ses propres spectacles.
« Je veux avoir peur et ne jamais faire deux fois la même chose », dit-il quand on l’interroge sur ses moteurs artistiques. Ne comptez donc pas sur lui pour faire un deuxième « Autre ». Dans les coulisses des Halles de Schaerbeek, il affûte « La Cosa » (« La chose »), sa nouvelle création pour quatre hommes et deux semi-remorques de bois. Qu’est-ce qu’on trouve dans sa boîte à outils ? Une hache bien sûr, trois partenaires qui ne craignent pas les échardes et, surtout, cinq ingrédients fondamentaux qui nourrissent son très étonnant laboratoire.
- Du temps
« La plupart des artistes de cirque prennent beaucoup de temps pour la recherche qui mène au spectacle », rapporte Anne Kumps, programmatrice aux Halles de Schaerbeek. « Mais, à ma connaissance, Claudio Stellato bat tous les records ». Pour « La Cosa », comme pour « L’autre », la recherche aura duré trois ans, là où certains spectacles se montent en quelques mois. « Sans ce temps, je ferais tout simplement de mauvais spectacles », réagit Claudio. « J’ai besoin de cela pour faire un travail de qualité. Je ne me vois pas comme un artiste, mais comme un artisan dans le monde de fabrication d’un spectacle ».
- Des intuitions
Tous les spectacles de Claudio naissent d’une image qui lui saute à l’esprit et s’impose, lancinante, persistante, inéluctable.« Si j’ai un truc en tête, je dois le faire. C’est une espèce de maladie », avoue-t-il. « Si je vais sur une falaise d’où l’on dit qu’il ne faut pas plonger, je vais tellement y penser que je ne serai libéré qu’en sautant – alors je plonge. Je dialogue avec mon cerveau. Pour les spectacles, les images que j’ai en moi-même sont très bizarres. Et j’ai envie de les essayer. C’est cela qui prend nécessairement du temps : expérimenter, tenter, voir les fausses pistes et passer les idées par le corps ».
- Du bois
Outre Martin Firket, son partenaire invisible, le mobilier de « L’autre » aura fait du bois le principal interlocuteur de Claudio Stellato au fil de la longue tournée du spectacle. L’artiste s’est visiblement trouvé une fibre. En 2012, en Hongrie, au sommet d’une colline, le voilà qui bûcheronne. « Je frappais le billot à la hache, je frappais si fort que l’outil restait coincé. Je me suis dit : ‘Voilà une idée à réaliser un jour’. C’est là que le spectacle a commencé ». Trois ans et mille et une résidences et explorations plus tard (sculptures avec peaux de vache ou pierres de rivière, découpe au sabre, tronçonnage en tout genre, catch dans les bûches), « La Cosa » réunit quatre protagonistes et 600 bûches pour forger une sculpture vivante, un ballet pour corps et matière ligneuse. « On a tout élagué pour ne garder que le bois. Et un quatuor qui y va à fond dans une discipline dont nous ignorions tout (et que tout le monde peut explorer) : la manipulation de bûches ».
- De la sagesse
« Statistiquement », calcule Stellato, « la plupart des artistes qui ont fait un premier spectacle qui marche bien se voient proposer un beau budget pour refaire la même chose l’année d’après. Résultat : ils disent oui, n’ont pas assez de temps pour faire la recherche et font un mauvais deuxième spectacle. Or le secteur sélectionne sans pitié. Tu es une ‘mode’ pour un an et demi et puis un autre est derrière. Si tu montes, tu descendras. C’est toujours une parabole. La seule réponse à cela, c’est la sincérité : fais les choses comme tu trouves qu’elles sont bien faites pour toi-même. Ne les fais pas comme quelqu’un d’autre. Trouve ta couleur ».
- De la folie
« Je ne pense pas être fou en vrai. Mais la scène est l’endroit où je peux exprimer toutes les folies : c’est le plan d’expression où je lâche tout. Si jamais je ne peux plus faire de spectacles, je me demande où cette folie va sortir ». Cuisinier, cracheur de feu, barman, modèle nu, échassier, informaticien,… Les mille vies de Claudio Stellato lui ont donné bien des racines. Tout indique que sa sève artistique n’est pas prête de s’arrêter.
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L'auteur.e de l'article
Laurent Ancion
Laurent Ancion est rédacteur en chef du magazine « C!RQ en Capitale ». Critique théâtral au journal « Le Soir » jusqu'en 2007, il poursuit sa passion des arts de la scène en écrivant des livres de recherche volontiers ludiques et toniques. Il est également conférencier en Histoire des Spectacles au Conservatoire de Mons et musicien.