Le diabolo

Jan/Fév/Mars 2016

Venu du fin fond des millénaires chinois, le « kouen-gen » est devenu « diabolo » en Europe et son succès, diabolique. En l’air, en haut, en bas, en feu, sa manipulation n’a qu’une seule limite : l’imagination de son heureux propriétaire, qui le mène à la baguette.

Jouet de plage pour certains, véritable art de vivre pour d’autres, le diabolo serait apparu il y a environ 2000 ans, en Chine. Il était fait de bambou et troué des deux côtés de façon à siffler lorsqu’on l’actionnait à l’aide de deux bâtons reliés par une ficelle. Les marchands s’en servaient comme d’une crécelle pour attirer le chaland. Son nom originel le plus cité est « kouen-gen ». Importé en Occident à la fin du XVIIIe siècle, le kouen-gen est devenu diable, car il est diablement difficile à dompter, mais également car il faisait un boucan de tous les diables. Le saviez-vous ? C’est un belge, Gustave Philippart, qui donne en 1906 une grande notoriété au diable, grâce à une innovation technique donnant plus de stabilité à l’objet : il utilise du caoutchouc pour les « ailes » et du métal pour l’axe, au lieu du bois habituel. Le diabolo moderne est né !

Très en vogue dans la bourgeoisie au début du XXe siècle, le diabolo a connu une baisse d’intérêt, avant de refaire surface dans les années 1950 pour connaître un essor phénoménal dans les années 2000.

Mais que peut-on faire d’autre que lancer et rattraper ce drôle de hochet ? Accrochez-vous, car nombreux sont les magiciens du fil, les mordus de la baguette. Depuis 15 ans, Le diabolo est devenu une véritable science du nœud, un art de l’embobinage. Telles de drôles d’araignées, les nouveaux diabolistes ne cessent de tisser de nouvelles figures, toujours plus savantes, jusqu’à l’étourdissement. On ne se contente d’ailleurs plus d’un seul diabolo. Le répertoire de figures s’agrandit sans cesse et les plus intrépides manipulent jusque six diabolos en même temps.

 

Un gyroscope endiablé

Lauréats d’une médaille d’argent au Festival Mondial du Cirque de Demain (Paris) en 2004, les Suisses Roman Müller et Petronella van Zerboni, avec le duo Tr’espace, incarnent le renouveau artistique de la discipline. Leur numéro reste une référence incontestée. En effet, leur approche dansée liée au développement de la technique « Excalibur » (ou vertax) va inspirer toute une génération de nouveaux adeptes. « Excalibur » ? Il s’agit d’une technique consistant à manipuler le diabolo en maintenant son axe à la verticale (au lieu de l’habituelle horizontale). Beaucoup plus physique et impressionnante, cette technique permet également des déplacements dans toutes les directions, alors que la manipulation traditionnelle oblige à rester dans un axe bien déterminé. Chez nous, Vladimir Couprie, diplômé de l’École Supérieure des Arts du Cirque en 2007 a développé un style Excalibur tout en finesse et en précision, exploitant l’effet gyroscopique de l’objet dans toutes les dimensions. Ses numéros « Derniers Instants… » et « Mystic Game » en sont une belle illustration.

Alors que le diabolo est aujourd’hui pratiqué en Chine comme une activité physique apaisante pour le corps et l’esprit, les jeunes Européens en ont fait un véritable art de vivre, au-delà des arts du cirque. C’est une tendance urbaine virale, qui se pratique dans la majorité des cas avec 1. un jean slim et raie sur le côté (plutôt hipster) ; 2. un jogging large et cheveux en bataille (plutôt babacool) ; 3. un joyeux métissage des deux. Trait d’union (quasi) systématique : une bonne musique électro, avec basses bien grasses de préférence. Ces tendances s’accompagnent d’innombrables améliorations techniques de l’objet qui permettent d’élargir encore le champ des possibles : axes sur roulement à billes donnant plus d’autonomie à l’objet, axe allongé permettant de manipuler le diabolo avec les doigts et plus seulement par l’intermédiaire de la ficelle… On se croirait parfois entrer dans la quatrième dimension ! Il suffit de voir les circonvolutions inventées par Alexis Levillon pour éprouver une sensation de mise en orbite vertigineuse, ce jeune prodige ayant inventé son propre style : « Galexis » (deux diabolos : un dans l’axe normal, l’autre en « Excalibur »).

La Belgique ne manque pas de talents en la matière. Si les cadors actuels sont en majorité français (Tony Frebourg, Priam Pierret, etc…), toute une génération de jeunes diabolistes belges effectue à l’heure actuelle une montée en puissance impressionnante, à l’image du Bruxellois Romain « Rouch » Hugo, qui développe ces dernières années un style et une technique très personnels, mêlant la manipulation du diabolo comme une marionnette à une technicité hors-pair. D’Anvers à Liège, les diables, rouges ou pas, n’ont pas fini de vous faire tourner la tête.

Pour celles et ceux qui souhaiteraient tout apprendre du diabolo, courez vous procurer le triple DVD culte « The planet diabolo project », qui contient un film entre documentaire et fiction, des tutoriels et de nombreux numéros des talents du moment. Un must !

L'Oeil du Maestro

Tom Pierard, professeur de diabolo à l’École de cirque de Bruxelles depuis 15 ans, suit de très près l’évolution de la discipline. Il est régulièrement appelé pour des stages partout en Belgique et peaufine sa pédagogie basée sur le plaisir. « Il n’y a pas de capacités physiques particulières requises pour le diabolo », assure-t-il. « Il suffit de s’armer de patience pour apprendre les bases techniques, la créativité doit ensuite prendre le relai. Pour cela, une approche ludique me semble être la plus appropriée. Les meilleurs diabolistes se sont avant tout amusés ! ». Chaque année, Tom et ses compères organisent la Convention de jonglerie de Bruxelles, reconnue pour son très haut niveau en diabolo. Cela permet aux jeunes pousses du cru de rencontrer les stars venues de toute l’Europe. « C’est un peu l’apogée de l’année, l’occasion pour mes élèves de s’inspirer des différentes approches et d’enrichir leur vocabulaire ». L’imagination semble le maître-mot du diabolo : « Ce qui est stimulant avec cette discipline, c’est qu’on a l’impression que les possibilités sont infinies. Lorsqu’on croit être parvenu à une limite, il y a toujours quelqu’un qui arrive avec une évolution possible », s’émerveille le pédagogue, dont la devise résume la conviction : Impossible n’est pas diabolo !

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L'auteur.e de l'article

Kenzo Tokuoka

Kenzo Tokuoka est artiste de cirque. Diplômé de l'ESAC (Ecole Supérieure des Arts du Cirque) en 2007, il est le co-fondateur et co-directeur de la compagnie Carré Curieux, Cirque Vivant !