Les nouveaux métiers du cirque

Tout parcours professionnel a ses moments de doute, ses désirs d’autres horizons. Nous avons rencontré trois circassiens qui ont décidé de faire autre chose que de la performance… sans abandonner le cirque. Le pépin physique n’est pas toujours à l’origine du changement de cap. Et la résignation n’est jamais la solution !

On arrive à l’attraper entre deux valises, fin juin. Dans quelques jours, Geoffroy De Hasque s’activera dans les coulisses avignonnaises pour le Duo Gama et son Déconcerto. Il y a quelques années, c’est lui qui était sous les projecteurs. Aujourd’hui, il les tourne vers les artistes. Geoffroy fait partie de ces passionnés qui, face au défi, réinventent d’autres façons d’être circassiens.

Le corps lui a joué des tours l’obligeant à descendre du fil, sa spécialité. C’est presque naturellement qu’il s’est tourné vers la technique, voyant depuis toujours le cirque comme une aventure complète. « La transformation s’est faite sans heurt, parce que j’ai toujours fait les deux : la partie artistique et la partie technique. En 2003-2004, j’ai travaillé sur la tournée du Cirque Plume. J’étais alors régisseur plateau. Je ne pouvais plus remonter sur le fil depuis une blessure. J’aurais pu m’engager sur une autre production mais sans savoir si je pouvais assurer toutes les représentations. » Il trouve alors sa place petit à petit, hors champ, se formant sur le tas. Si renoncer à ce pourquoi on s’est lancé dans le cirque n’est pas toujours simple, pour Geoffroy, ce fut une révélation : « Dans l’ombre, je me trouve même davantage à ma place qu’avant ! Avoir été moi-même ‘dans la lumière’ m’aide dans mon travail. Je sais dans quel état se trouvent les artistes avant de monter sur scène. » Le régisseur préfère parler de continuité plutôt que de césure, un fil logique qu’on retrouve dans d’autres types de transition vers la technique, dans des métiers d’ingénierie ou de gréage par exemple. La connaissance « intime » de la pratique est un atout non négligeable.

Partir… pour mieux revenir

Benjamin Kahn continue pour sa part de jouer, mais il est aussi enseignant. Conférencier à l’Esac où il s’est lui-même formé, il partage avec les étudiants de l’école supérieure bruxelloise le bilan d’une expérience de plusieurs années de performeur en danse acrobatique (il a participé notamment à L’Assaut des cieux de Claudio Bernardo). Son parcours assez atypique nous apprend que ce diplômé en économie n’en est pas à sa première réorientation.

Dans l’enseignement, le danseur-acrobate voulait amener aux élèves un témoignage de professionnel. « J’avais beaucoup d’empathie pour ces élèves parce que je me suis retrouvé à leur âge face aux mêmes questionnements. Je trouvais intéressant de revenir vers eux avec un bagage et quelques réponses. Revenir à l’école de cirque n’était pas une nécessité, mais une envie. » Benjamin trouve ici des réponses pour son propre travail. « D’un point de vue personnel, enseigner me permet de me positionner : savoir où j’en suis et ce que je peux amener. C’est assez cathartique ! Voir comment on s’échauffe, comment on pose le geste, ces choses deviennent de plus en plus essentielles quand on a 35-36 ans. Au niveau technique, je sais que je ne vais jamais revenir à la pointe, mais il reste énormément de place pour l’imagination et l’écriture. C’est sans fin ! Et je ne me vois pas réduire mon travail comme performeur pour le moment. Au contraire, je me vois plutôt me diversifier : je suis en train de créer mon premier projet cette année. Ce serait plutôt ça ma réorientation. »

Témoignant d’une nouvelle génération de pédagogues, la trajectoire de Benjamin forme une boucle : l’ancien élève devenu prof pour réapprovisionner sa créativité. Sa boucle, Lennert Vandenbroeck est en train de se la créer. Après plusieurs années de tournée (en duo ou en compagnie) et une expérience de cirque social en Afrique du Sud, l’acrobate se forme en techniques de bien-être, entre méditation et pleine conscience. C’est par une volonté de se ressourcer et d’anticiper les problèmes physiques qu’il a décidé de bifurquer. Aujourd’hui, il exerce comme coach d’expression dans un centre thérapeutique de Louvain accueillant des personnes ayant subi un traumatisme. Par la manipulation des énergies et du magnétisme, il équilibre bien-être du corps et de l’âme : « Je travaille sur le ressenti du corps et des émotions. Un travail très fin, avec les mains. »

Lennert aimerait mettre ses nouvelles compétences au service des artistes et de la création. Il a aussi pris goût au jeu de comédien pour lequel il se forme également. « Mon parcours s’est transformé. Le cirque et l’acrobatie demandaient une maîtrise du corps très démonstrative et extérieure. Maintenant cette maîtrise est beaucoup plus subtile, à la fois au niveau du travail du comédien et aussi dans l’aspect thérapeutique. Le développement artistique va de pair avec le développement personnel. » On ne se refait pas, Lennert travaille actuellement à un projet scénique qui s’inspire de son parcours de thérapeute, et il aimerait former les circassiens à ces nouvelles techniques.

La palette des métiers du cirque s’est indéniablement élargie à mesure de la professionnalisation d’un secteur qui, voici 20 ans, fonctionnait principalement à la débrouillardise. La reconversion ou la diversification se pense de manière plus spécifique (communication, administration, technique, soins). « Les circassiens vont aujourd’hui chercher ailleurs de nouveaux outils pour rester des créateurs, même au service d’autres », relève Catherine Magis, directrice de l’Espace Catastrophe, qui développe un programme de formations à destination des professionnels. « Les profils touche-à-tout disparaissent. Mais les jobs se sont vraiment multipliés. C’est ça la vraie mutation ! »

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L'auteur.e de l'article

Nicolas Naizy

Journaliste, Nicolas Naizy suit avec curiosité et attention l'effervescence de l'actualité culturelle à Bruxelles et en Belgique. Ses sujets de prédilection: les arts de la scène bien évidemment qu'il suit et critique pour Radio Campus et C!RQ en CAPITALE, mais aussi la littérature et la bande dessinée pour diverses publications.